Lundi 25 novembre, le sénateur Jean-Marie Bockel a rendu à l’Élysée son rapport – confidentiel – sur l’avenir du dispositif militaire français en Afrique. Il préconise, si l’on en croit les fuites dans la presse, une diminution du volume des bases militaires françaises, à l’exception de celle de Djibouti. Le rapport recommanderait notamment de ramener les effectifs des Éléments français du Sénégal (EFS) de 350 à 100 militaires, alors même que la concertation sur le sujet avec les autorités sénégalaises n’a pas encore eu lieu. Une méthode jusque-là habituelle en Françafrique. Mais trois jours plus tard, dans un entretien au Monde, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a affirmé qu’il n’y aurait « bientôt plus de soldats français au Sénégal », estimant leur présence incompatible avec l’indépendance de son pays.
Quelques heures plus tard, alors que Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères de l’éphémère gouvernement Barnier, venait juste de terminer une visite au Tchad, son homologue tchadien, Abderaman Koulamallah, annonçait la décision de son pays « de mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la République française ». Les hauts gradés français en seraient « tombé[s] de l’armoire », si l’on en croit les confidences recueillies par RFI (29/11/2024) qui précise que « la présidence, la primature, l’état-major des armées et les services de renseignements, étaient […] en ébullition, avec une réunion de crise, un conseil de défense organisé en urgence à l’Élysée pour comprendre d’où est parti le coup ».
Si la déclaration sénégalaise est adossée à un projet politique connu et réaffirmé, la décision tchadienne paraît en effet plus inattendue, ne serait-ce que parce que la diplomatie française a validé sans sourciller tous les crimes de la transition dynastique des Déby. Les journaux évoquent la déception du président tchadien, qui n’aurait pas bénéficié de tout le soutien militaire souhaité contre Boko Haram, et sa colère face au paternalisme du ministre français. Mahamat Déby n’aurait digéré ni la demande française de différer les élections législatives pour permettre la participation de l’opposant Succès Masra, ni l’appel public à observer une stricte neutralité dans le conflit soudanais. Les Émirats arabes unis livrent en effet, via le Tchad, des armes aux paramilitaires soudanais des Forces de soutien rapide, et notamment du matériel français si l’on en croit un récent rapport d’Amnesty International.
S’y ajoutent les motivations électorales, car ce qui est certain, c’est que la décision tchadienne s’inscrit dans une évolution de fond du contexte régional et qu’elle répond aux aspirations des citoyen·e·s africain·e·s. Il faut toutefois rester prudent quant aux conclusions politiques. Le Tchad lui-même a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une rupture. L’annonce tchadienne n’est pas forcément incompatible avec le projet français d’un tout nouveau Commandement pour l’Afrique (CPA) qui veut réduire les empreintes militaires visibles, mais multiplier les « détachements de liaison interarmées […] composés de plusieurs dizaines de soldats » dans davantage de pays (Africa Intelligence, 19/11/2024). Reste donc à vérifier si ces plans vont s’appliquer ou si le rejet de la présence militaire française va s’étendre aux autres pays concernés. Quand on en aura fini avec les opérations extérieures (opex) et les autres formes d’ingérence militaire dans les conflits africains, on pourra alors véritablement parler de rupture historique.