Survie

Bolloré, de l’empire colonial à l’empire médiatique

« Vecteur de fascisation »

(mis en ligne le 31 janvier 2025) - Benoît Godin

Désarmer Bolloré : c’est la campagne lancée par une centaine d’organisations contre le milliardaire, grand promoteur de l’extrême droite. L’occasion pour nous de dénoncer, une fois encore, les fondements néocoloniaux de son empire.

En juillet dernier, à la suite de législatives qui ont failli conduire le Rassemblement national au pouvoir dans notre pays, une centaine d’organisations politiques et syndicales, parmi lesquelles Survie, ont lancé un appel à « désarmer l’empire Bolloré », proclamant : « Nous devons, sans attendre de prochaines échéances électorales, unir nos forces contre les vecteurs de fascisation de la société. »

C’est peu dire en effet que Vincent Bolloré en est un puissant « vecteur » ! Le milliardaire (8e fortune française en 2024 avec sa famille, selon le magazine Forbes) n’a cessé de s’emparer d’un nombre croissant de médias de masse, sans compter plusieurs maisons d’édition, pour les mettre au service d’une idéologie sexiste, homophobe, écocide… mais aussi raciste et coloniale. Rien d’étonnant lorsqu’on sait que tout le parcours de cet oligarque renvoie au (néo)colonialisme le plus véhément. Car son groupe tentaculaire et son immense fortune, aujourd’hui au service d’un idéal réactionnaire, Bolloré les a bâtis d’abord en pillant l’Afrique.

Réseaux françafricains

Après un passage par la banque Rothschild et la reprise de la papeterie paternelle, le jeune héritier commence à investir sur le continent en 1985. D’abord dans l’agriculture, en pratiquant allègrement l’accaparement de terres et en privilégiant les productions hautement rentables – tabac, cacao, bois, café, caoutchouc, huile de palme… exploités dans des conditions parfois proches de l’esclavage. Puis très vite dans les transports et la logistique : le groupe devient l’un des plus importants gestionnaires de terminaux portuaires et lignes maritimes du continent, et se positionne également dans les chemins de fer. À partir de 1996, il prend le contrôle de la banque Rivaud, institution de la période coloniale, propriétaire d’immenses plantations en Afrique, connue pour son implication dans les finances douteuses du RPR…

Bolloré s’implantera ainsi dans plus d’une quarantaine de pays africains. Une expansion qu’il réussit en s’allouant les services, à Paris comme en Afrique, de nombreux politiciens, hauts-fonctionnaires, cadres du renseignement et autres magistrats. Bolloré s’appuie largement sur les réseaux, officiels ou officieux, de la Françafrique – quand il ne se substitue pas à eux. Il fait ainsi affaire avec nombre de dictateurs, figures passées ou actuelles du système, tels Blaise Campaoré (Burkina Faso), Omar Bongo (Gabon) ou Denis Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville).

Années d’entraînement

Aux chefs d’État prêts à servir ses intérêts, Bolloré offre en retour la force de frappe de son groupe, notamment sur le plan communicationnel. Si l’oligarque sait aujourd’hui si bien influer sur la vie politique française, nul doute qu’il le doit, au moins en partie, à ces années d’entraînement ! Ont ainsi pu bénéficier des faveurs des médias Bolloré le Sénégalais Abdoulaye Wade, le Camerounais Paul Biya, l’Ivoirien Laurent Gbagbo… Le soutien est parfois plus brutal, comme en Guinée-Conakry en décembre 2023 lorsque Canal+, propriété de la famille Bolloré, coupait le signal de trois chaînes de télévision critiques vis-à-vis du président Mamadi Doumbouya.

Le système Bolloré en Afrique, ce sont aussi, sans surprise, des pratiques plus opaques, pouvant aller jusqu’à la corruption. En juin dernier, le Parquet national financier a ainsi requis un procès contre l’homme d’affaires et deux de ses collaborateurs. Entre 2009 et 2011, le groupe Bolloré a en effet mis gracieusement d’importants moyens au service des campagnes électorales d’Alpha Condé en Guinée et de Faure Gnassingé au Togo contre l’attribution frauduleuse de la gestion des ports de Conakry et de Lomé. Autre pays, autre port, autres soupçons de corruption : on a appris en 2024 qu’une autre enquête était en cours concernant les conditions d’attribution en 2015 du terminal pour containers de Kribi, dans le sud du Cameroun.

Un empire médiatique en Afrique aussi

Cerné par les scandales et les affaires, Bolloré a finalement vendu, à regret (et à prix d’or), son pôle logistique et maritime historique en 2022. Pour autant, il est loin d’en avoir fini avec le continent africain où il conserve de nombreuses activités, dans l’agriculture, le stockage d’énergie… et les médias ! Déjà plus grand fournisseur de télévision par satellite d’Afrique francophone, Canal+ est même en voie d’acquérir l’autre grand géant de la télévision payante du continent, le sud-africain MultiChoice. De quoi conserver un important pouvoir de nuisance.

Perpétuateur de la domination coloniale en Afrique, promoteur de l’extrême-droite dans l’Hexagone : Bolloré offre là un visage très cohérent. Comment ne pas voir derrière son mépris des droits les plus élémentaires des Africain·e·s, et de leurs vies mêmes, le racisme le plus basique ? Et dans sa volonté de domination sur le monde économique et politique africain un attachement à la grandeur impériale de la France, si ce n’est de l’Occident ? Autant de cancers qu’il nous faudra bien éradiquer.


Pour suivre la campagne 
Désarmer Bolloré sur le web : https://desarmerbollore.net/

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 344 - février 2025
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