Survie

Indécrottable !

(mis en ligne le 31 janvier 2025) - Raphaël Granvaud

À l’occasion de la conférence annuelle des ambassadrices et des ambassadeurs, le 6 janvier dernier, Emmanuel Macron a une nouvelle fois donné un aperçu de son talent exceptionnel. Pour réécrire l’Histoire d’abord : « Non, la France n’est pas en recul en Afrique, elle est simplement lucide, elle se réorganise », assène-t-il. Au Sahel, les militaires français n’auraient pas été chassés du Mali, du Burkina Faso et du Niger : « Nous ne sommes pas les supplétifs de putschistes. Donc, on est partis », résume tranquillement Macron. C’est passer un peu vite sous silence les premiers mois de lune de miel entre l’Élysée et les putschistes maliens suite au renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020. Et c’est oublier un peu rapidement tous les efforts déployés par la France pour rester militairement présente au Burkina Faso après les coups d’État de janvier et septembre 2022. En vain… Quant aux demandes récentes de fermetures des bases militaires françaises, il s’agirait en fait d’une décision française : « Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l’annonce. Mais ne vous trompez pas, c’est nous qui l’avons... et parfois, il a fallu y pousser. » Si le scénario décrit là est certainement fidèle concernant la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, les autorités tchadiennes et sénégalaises ont immédiatement réagi pour dénoncer un mensonge grossier pour leur propre cas.

Pensant sans doute laver l’humiliation, Macron a livré un de ses meilleurs sketchs, s’auto-félicitant et affichant un mépris, une condescendance et un paternalisme caricaturaux : « Notre engagement contre le terrorisme depuis 2013 : on avait raison. Je crois qu’on a oublié de nous dire merci. C’est pas grave, ça viendra avec le temps. » Une « ingratitude » des autorités sahéliennes « qui n’ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques » de dire qu’aucun de ces pays « ne serait aujourd’hui un pays souverain si l’armée française ne s’était pas déployée dans cette région ». Ce à quoi le premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a répondu, même si son pays n’était pas directement visé : « Si les soldats africains, quelquefois mobilisés de force, maltraités et finalement trahis, ne s’étaient pas déployés lors de la Deuxième Guerre mondiale pour défendre la France, celle-ci serait, peut-être aujourd’hui encore, allemande. »

On pourrait se satisfaire, comme beaucoup l’ont fait, de ce que l’arrogance sans limite du chef de l’État l’amène à marquer des buts contre son propre camp et produise des effets inverses à ceux qu’il prétend atteindre en matière de « nouveau partenariat » avec l’Afrique pour préserver certains intérêts français. Mais ce serait oublier que s’il peut s’autoriser de telles déclarations de manière aussi décomplexée, c’est qu’il sait qu’elles reflètent des conceptions largement répandues dans la classe politique française. Le bilan de l’ingérence militaire au Sahel, qui a contribué à complexifier et aggraver la crise sécuritaire qui frappe cette région, n’a jamais été fait, et trop nombreux sont ceux qui restent convaincus de ses bienfaits, y compris à gauche. Un même aveuglement idéologique reste également trop partagé, selon lequel la destinée de la France sur la scène internationale serait inséparable de celle de l’Afrique, et qui voudrait que les Africain·e·s restent éternellement dépendant·e·s de « l’aide » française.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 344 - février 2025
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