La contestation de la présence militaire française en Afrique se généralise et s’accélère, contrariant les projets de l’Élysée et de l’état-major qui pensaient pouvoir maintenir un dispositif renouvelé mais plus discret. Les récents camouflets sénégalais et tchadien sonnent-ils vraiment le glas de l’ingérence militaire hexagonale ?
En Centrafrique, où les relations devenaient de plus en plus tendues avec le régime du président Faustin-Archange Touadéra, l’armée française a progressivement réduit ses effectifs à partir de 2021 et finalement abandonné sa dernière implantation fin 2022. Au Mali, les mêmes causes ont produit les mêmes effets : les pressions françaises pour empêcher l’arrivée du groupe militaire privé russe Wagner ont conduit à une rupture avec le nouveau pouvoir. Début 2022, la France a annoncé le retrait de l’opération Barkhane et le Mali la rupture de tous les accords militaires existants. En janvier 2023, c’est au tour des autorités burkinabè, également issues d’un coup d’État, de dénoncer les accords militaires signés à l’indépendance ou au moment de l’opération Barkhane, et d’exiger la fermeture de la base des forces spéciales françaises du Commandement des opérations spéciales. L’été suivant, la France ayant tenté d’intervenir militairement contre les putschistes nigériens, ces derniers ont chassé les troupes françaises et fermé la base aérienne de Niamey. Ces départs contraints, sur fond de contestation populaire généralisée de la présence militaire française dans la région, ont accéléré les projets de réorganisation du dispositif français. Il fallait réduire, se faire discret et se montrer plus à l’écoute des besoins des « partenaires » pour sauver l’essentiel. La finalisation a été confiée au sénateur Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du chef de l’État français.
À peine le rapport Bockel remis à l’Elysée, le 25 novembre dernier, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye faisait savoir à la presse française que son contenu était déjà caduque : les militaires français devraient partir. Le même jour, et de manière plus inattendue, les autorités tchadiennes annonçaient la rupture de l’accord de coopération militaire en matière de défense (accord signé en 1976 et révisé à l’occasion de Barkhane), après un entretien apparemment houleux avec le ministre français des Affaires étrangères en visite dans le pays (voir notre édito du mois dernier). Pensant sans doute infléchir la décision tchadienne, les Français ont immédiatement rapatrié les avions de chasse qui avaient, à plusieurs reprises, sauvé la mise du régime Déby père. Le Tchad a alors exigé un calendrier de départ resserré et les bases françaises ont commencé à être restituées. Si plusieurs raisons conjoncturelles ont pu motiver la décision tchadienne, elle s’inscrit dans une stratégie de diversification des partenariats sécuritaires et dans un contexte politique régional où il devient politiquement risqué d’apparaître militairement inféodé à Paris.
Pour cette raison, tous les yeux sont évidemment tournés vers les deux autres pays ouest-africains qui abritent encore des bases militaires : la Côte d’Ivoire et le Gabon. En Côte d’Ivoire, le président Ouattara, fidèle allié du président Macron, a, le 31 décembre, annoncé à son tour un « retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire » et une rétrocession de la base militaire de Port-Bouët. Cette annonce, qui a alimenté des contresens médiatiques, s’inscrit dans la stratégie décidée par la France et devrait permettre le maintien d’une centaine de militaires français… du moins pour l’instant. Car si cette question devient l’un des enjeux de la prochaine élection présidentielle, la donne pourrait changer. La question se pose également au Gabon, où il n’est pour l’instant question que de réduire le nombre de militaires présents, de 350 à quelques dizaines.
La plus importante présence militaire française est désormais concentrée de l’autre côté du continent, à Djibouti. Cette base militaire n’était pas concernée par les projets de déflation, au motif que sa vocation n’était pas africaine, mais indo-pacifique. Pourtant, elle doit continuer à servir de « point de projection pour certaines de nos missions africaines », a assuré le président Macron le 20 décembre dernier. Le traité de coopération en matière de défense vient d’y être renouvelé, moyennant un loyer annuel de 85 millions d’euros pour la base militaire (contre 30 auparavant), et il inclut toujours une clause de défense territoriale du pays. Selon l’Élysée, cet accord « légitime la présence française à Djibouti pour les prochaines décennies ». Rien que ça !
Si le mouvement de contestation s’amplifie et si le volume des militaires français présents en Afrique diminue incontestablement, la volonté des autorités françaises de continuer à exercer une influence par l’outil militaire perdure. L’exécutif semble aujourd’hui privilégier une stratégie de diversification de la coopération militaire (dans ses modalités comme dans sa géographie) pour pallier la baisse numérique. L’avenir dira si cette stratégie lui permet de continuer à s’ingérer dans les crises africaines, notamment par le biais d’opérations extérieures qui n’ont pourtant que trop duré.
Raphaël Granvaud