Alors que nombreux sont ceux qui demandent au premier ministre des excuses pour avoir employé la notion de « submersion » migratoire, il semblerait que peu de monde soit enclin à contester l’usage de ce mot concernant Mayotte. La submersion est une situation dans laquelle on risque fort de se noyer, au sens au propre comme au figuré – comme l’héroïne éponyme et malheureuse du roman Anguille sous roche, de l’écrivain comorien Ali Zamir. Mais si les personnes sans papiers français étaient toutes chassées de Mayotte, comme l’ont rêvé tous les ministres de l’Intérieur depuis Charles Pasqua en 1995, c’est bien l’économie mahoraise qui finirait coulée, puisqu’il n’y aurait plus de main-d’œuvre pour l’agriculture, pour le bâtiment, pour les travaux à domicile…
Depuis la fin des années 1950, et d’autant plus depuis que l’île a été détachée des Comores indépendantes en 1975 en violation du droit international, les élites de Mayotte se font fort de convaincre ses habitant·e·s qu’ils ne sont pas comorien·ne·s et que leurs problèmes sont en grande partie causés par les migrations en provenance du reste de l’archipel. La situation de l’île n’a pourtant fait qu’empirer au gré de mesures anti-immigration toutes plus contre-productives les unes que les autres. Citons quelques exemples.
Alors que l’économie mahoraise s’entretient, d’un côté par les perfusions de la « métropole », de l’autre par la circulation entre les îles de l’archipel, Charles Pasqua et son patron Édouard Balladur introduisent en 1995 une obligation de visa. Celui-ci était censé empêcher les Comorien·ne·s des îles voisines d’entrer à Mayotte. Mais à rebours de leurs attentes, cette mesure a eu pour conséquence de provoquer leur installation : alors qu’avant ils ne venaient à Mayotte qu’à titre provisoire, ils ne prennent dès lors plus le risque de repartir aux Comores, la traversée devenant dangereuse.
En 2005, après que le ministre de l’Outre-mer François Baroin a voulu remettre en question le droit du sol au profit du droit du sang (communiqué de Survie, 21/12/2005), la chasse aux « clandestins » a fait qu’il n’y avait plus personne pour les récoltes : on a vu alors les fruits et légumes pourrir sur pied… Depuis le passage de Nicolas Sarkozy à la place Beauvau, la police a été contrainte d’expulser à tour de bras et sans discernement, ce qui a abouti à l’abandon en masse d’enfants à Mayotte. Ces mineur·e·s isolé·e·s produit·e·s par la police depuis 2007 ont constitué des bandes aux méthodes brutales qui s’affrontent parfois très violemment, ce qui a contribué à créer un climat d’insécurité rendant encore plus invivable le quotidien des Mahorais·e·s.
Finalement, la départementalisation de mars 2011, par l’augmentation des perfusions économiques qu’elle apporte, n’a fait que décupler ces venues à Mayotte en augmentant encore le différentiel économique entre les îles.
Il serait bon que le monde politico-médiatique prenne conscience de la situation réelle de Mayotte, au lieu de continuer à valider la version d’État d’une augmentation des expulsions et même d’une restriction du droit du sol qui résoudraient les problèmes des Mahoraises et Mahorais, alors que, précisément, elles les aggravent. Il est particulièrement choquant de voir à quel point l’argument d’une submersion serait accepté pour Mayotte, alors que la circulation entre les îles est justement la respiration qui résoudrait partiellement ses problèmes.
Ne nous y trompons pas : sous ces torrents de mesures iniques, c’est Mayotte qui se noie.