Survie

En châtier « quelques-uns » pour les mater tous

Les « sept de la CCAT »

(mis en ligne le 1er avril 2025) - Benoît Godin

Arrêté·e·s et déporté·e·s en France en juin 2024, les sept militant·e·s kanak de la Cellule de coordination des actions de terrain symbolisent la brutalité de la répression coloniale après le soulèvement populaire du mois de mai.

Rassemblement en soutien à Guillaume Vama devant le Palais de justice de Bourges, le 3 octobre 2024.

Au petit matin du 19 juin 2024, à Nouméa et ses environs, onze Kanak, présenté·e·s comme des responsables de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), sont arrêté·e·s dans le cadre d’une enquête visant « les commanditaires présumés des exactions commises […] à compter du 12 mai 2024 », selon le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas. La démarche est absurde – comment désigner les « commanditaires » d’une vaste révolte populaire ? – mais elle n’est alors pas une surprise.

Cela fait déjà plusieurs semaines en effet que l’exécutif français répond au mouvement de protestation contre le projet de dégel du corps électoral néo-calédonien par une répression implacable. Loin d’interroger son rôle pourtant fondamental dans le déclenchement de la crise, il ne cesse de pointer la CCAT comme responsable de tous les maux. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et à ce titre largement comptable du désastre en cours, avait même, le 16 mai sur France 2, qualifié l’organisation de « mafieuse, violente », l’accusant de commettre « des pillages, des meurtres ». La veille de la vague d’interpellations, avec la morgue désinvolte qui le caractérise, Emmanuel Macron avait dénoncé dans une lettre aux Calédoniens la responsabilité de « quelques-uns » dans la situation du territoire.

« Conditions inhumaines et dégradantes »

Ce qui surprend en revanche, c’est le traitement particulièrement brutal infligé aux militant·e·s interpellé·e·s. Après avoir subi jusqu’à plus de 90 heures de garde à vue, ils et elles sont mis·e·s en examen pour des chefs d’accusation extrêmement graves : complicité de tentative de meurtre, association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime ou d’un délit, vol en bande organisée avec arme ou encore complicité par instigation ou fourniture de moyens des crimes de meurtres ou de tentatives de meurtre sur les forces de l’ordre… Quatre sont laissés libres sous contrôle judiciaire, deux placés en détention provisoire au centre pénitentiaire de Nouméa. Les sept autres se retrouvent devant le juge des libertés et de la détention pour une audience à huis clos (une rareté) où iels apprennent, effaré·e·s, qu’iels vont être placé·e·s en détention provisoire dans l’Hexagone !

Le coup était bien préparé, avec une volonté évidente de frapper fort : les inculpé·e·s se voient directement attribuer une prison, différente pour chacun·e, et, alors que de tels transferts prennent généralement des semaines, un avion les attend sur le tarmac de l’aéroport de Nouméa-Magenta pour les conduire en France dès leur sortie du tribunal ! François Roux, avocat historique du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui a repris du service au vu de la gravité des événements, dénoncera un transfert qui « s’est déroulé dans des conditions inhumaines et dégradantes » : « Nos clients sont restés menottés et sanglés à leurs fauteuils pendant tout le transfert. Et puis, ils avaient interdiction de parler » (France info, 22/10/2024).

Prisonniers politiques

Le plus médiatique de ces prisonniers politiques – comment les considérer autrement ? – est sans conteste Christian Tein. Commissaire général de l’Union calédonienne, le principal parti du FLNKS, il est devenu une des figures de la CCAT (dont il faut rappeler qu’elle n’est à la base qu’un outil de mobilisation). À ce titre, il a même été tiré de son assignation à résidence le 23 mai pour rencontrer Emmanuel Macron, revenu en catastrophe sur le territoire pour tenter de reprendre la main. Christian Tein est par ailleurs originaire de Saint-Louis, tribu la plus proche de Nouméa, qui va se retrouver au cœur de la révolte populaire… et de l’impitoyable riposte étatique. L’accompagnent en France Guillaume Vama (détenu à Bourges), Steeve Unë (Blois), Yewa Waetheane (Nevers), Dimitri Qenegei (Villefranche-sur-Saône). Et deux femmes : Brenda Wanabo-Ipeze, en charge de la communication de la CCAT (Dijon), et Frédérique Muliava, directrice de cabinet de Roch Wamytan, alors président du Congrès de Nouvelle-Calédonie (Clermont-Ferrand). En juillet, toutes deux sont finalement libérées pour être placées sous contrôle judiciaire avec bracelet électronique et assignation à résidence – une « résidence » toutefois aux antipodes de chez elles… Jusqu’ici, les autres demandes de remise en liberté ont toutes été rejetées.

Une solution plutôt politique que judiciaire ?

Si les sept sont maintenus ici, l’affaire continue, elle, d’être traitée là-bas : le dossier est confié à deux juges d’instruction de Nouméa, dans un contexte explosif guère favorable à des militant·e·s kanak. Il faudra attendre le 28 janvier 2025 et une décision de la Cour de cassation pour que le dépaysement de la procédure demandé par leurs avocats soit enfin accepté. « Une décision d’apaisement », se réjouit alors François Roux. Ce dépaysement permettra-t-il vraiment la fin de cet acharnement judiciaire ? Il est trop tôt pour en juger. Mais une première bonne nouvelle est arrivée depuis : Brenda Wanabo-Ipeze et Frédérique Muliava ont vu en ce mois de mars leur contrôle judiciaire allégé. Elles peuvent désormais circuler sur l’ensemble du territoire hexagonal, avec juste obligation de pointer une fois par mois dans un commissariat.

Une solution est sans doute plus à chercher aujourd’hui du côté politique que judicaire. Le 31 août, Christian Tein a été désigné président du FLNKS. Le poste, qui n’existait plus depuis 2001, est avant tout symbolique, Christian Tein étant toujours à l’isolement. Mais il exprime le soutien fort du Front à ses prisonniers politiques et sa volonté de faire de leur sort un point crucial des discussions qui ont repris fin février avec l’État. Comment en effet imaginer une seule seconde qu’un quelconque accord puisse être validé en l’absence du président du FLNKS, représentant le peuple kanak dans les instances internationales, Nations unies en tête ? En attendant, les sept de la CCAT restent captifs à quelque 17 000 kilomètres de leurs proches, sans aucun respect de leur droit fondamental au maintien des liens familiaux, dans des conditions matérielles et psychologiques particulièrement pénibles. Près de dix mois après leur arrestation et déportation, elles et eux, dont la seule faute est d’avoir participé comme bien d’autres à la lutte pour la libération de leur peuple, ont grand besoin de notre soutien. Autant pour tenir bon au quotidien que pour sortir au plus vite du piège crapuleux que leur a tendu l’État colonial.


→ L’ensemble de notre dossier consacré aux prisonniers kanak déportés en France est à retrouver par ici.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 346 - avril 2025
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