La spectaculaire offensive lancée par Donald Trump et son administration contre l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) fait des émules chez nous. Toujours prompt à suivre le président américain, plus que jamais chef de file d’un néofascisme mondial, l’extrême-droite hexagonale a donné à son tour l’assaut contre l’aide publique au développement (APD).
Sans surprise, Le Journal du dimanche (propriété de Bolloré) est monté en première ligne, faisant la une de son édition du 23 février sur le « scandale » des « milliards engloutis de l’aide aux pays étrangers » et sur « ces délires que financent vos impôts ». On y retrouve en pages intérieures un entretien avec le député Rassemblement national (RN) Guillaume Bigot, auteur en octobre d’un rapport réclamant un moratoire sur l’aide tricolore, jugée « illisible », « coûteuse » et « peu efficace ».
De fait, l’aide internationale française est un agglomérat complexe de programmes disparates allant de projets en faveur de la santé ou de l’éducation jusqu’à des dépenses militaires. Son coût en revanche est dérisoire pour les finances publiques (et donc pour « vos impôts ») : l’APD représente en totalité moins de 0,5 % du revenu national brut et 85 % des ressources de l’Agence française de développement proviennent d’emprunts sur les marchés financiers. Si cette aide s’avère « coûteuse », c’est d’abord pour les pays bénéficiaires, puisqu’elle n’est pas constituée que de dons, mais aussi en grande partie de prêts qu’il leur faudra rembourser – avec intérêts bien sûr.
Derrière ces procès alimentés par des approximations et des contre-vérités, l’extrême-droite cache en réalité bien mal son dessein véritable : s’attaquer obstinément à tout ce qui s’apparente, même de loin, à des formes de solidarité internationale et qui ne promeut pas son idéal raciste, sexiste, antidémocratique, anti-écologique… À ce titre, l’exemple des Pays-Bas est éloquent : la réduction drastique de l’aide au développement (deux tiers en moins sur trois ans), annoncée en septembre par un gouvernement dominé par le Parti de la liberté, allié du RN au Parlement européen, va surtout permettre de stopper le financement de projets en faveur de l’égalité hommes-femmes ou de l’action pour le climat… Priorité désormais à la lutte contre l’immigration irrégulière et à « la défense des intérêts néerlandais ».
Ces intérêts nationaux, brandis de Washington à Paris en passant par La Haye pour fustiger l’aide au développement, sont pourtant déjà très bien défendus par elle. Car cette « aide » est pensée pour permettre avant tout le « développement » de l’influence et de l’économie des pays qui l’octroient. Ainsi, la France, cinquième pourvoyeuse mondiale d’aide au développement en 2023 selon l’OCDE, veille-t-elle à ce que sa « générosité » favorise en priorité ses entreprises. Et à ce qu’elle qu’elle soit distribuée à des pays qu’elle veut amis… ou vassaux. L’APD, mise en œuvre au moment du délitement de l’empire colonial français, est une des armes majeures de la Françafrique depuis ses débuts.
Soudaine et unilatérale, la liquidation de la majorité de l’aide étasunienne engendre aujourd’hui une succession de situations pénibles, et même tragiques. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, cela ne démontre pas un manque d’efficacité, mais bien une escroquerie : celle d’un système conçu pour maintenir les pays les plus pauvres sous la dépendance de leurs bailleurs, les condamnant à demeurer éternellement « en développement » et sous tutelle. Au Sénégal, le nouveau premier ministre souverainiste, Ousmane Sonko, a finalement posé la seule question qui vaille : « Doit-on continuer à dépendre de l’aide étrangère ? »