Survie

Prisonniers politiques kanak : « Besoin d’une solidarité la plus large possible »

Entretien avec Wahmadri Ipeze

(mis en ligne le 22 mai 2025) - Benoît Godin

Contraint de tout lâcher pour suivre son épouse Brenda Wanabo-Ipeze au moment de sa déportation, Wahmadri Ipeze, par ailleurs animateur de l’association Ceini hnyei, nous raconte les difficultés au quotidien des prisonniers politiques et de leurs proches. Mais aussi la poursuite du combat pour l’indépendance de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

Quelle est votre situation aujourd’hui, neuf mois après le transfert en France des sept prisonniers de la CCAT ?

Wahmadri Ipeze : La situation est difficile pour nous tous aujourd’hui, que ce soient les militants arrêtés ou leurs proches. Personnellement, j’ai dû quitter brusquement la Nouvelle-Calédonie, en laissant mes enfants et mon travail, pour pouvoir accompagner Brenda durant cette épreuve. Je ne suis pas le seul dans ce cas-là. Il va peut-être falloir que je rentre bientôt pour pouvoir être auprès de nos enfants, qui ne vivent pas bien la séparation. Le point positif, c’est qu’il y a beaucoup de communication, d’entraide entre les familles des prisonniers politiques kanak.

Comment vous en sortez-vous financièrement ?

C’est très compliqué. Globalement, nous ne recevons pas d’aide du pays. La CCAT et le CSPPK (Collectif de soutien aux prisonniers politiques de Kanaky) s’occupe de régler les frais d’avocat, c’était la priorité. Pour le quotidien des prisonniers et assignées à résidence, c’est à la charge des familles. Mais nous ne voulons pas faire peser ce poids financier sur nos proches, déjà confrontés aux difficultés économiques au pays. Alors, on survit avec ce qu’on a. Nous recevons chaque mois un peu d’argent des caisses de soutien. Et des sommes ponctuelles, grâce au fonds récolté lors des événements de solidarité organisés avec les camarades d’ici.

Justement, comment s’organise le soutien autour de vous en France ?

Je regrette qu’il n’y ait pas jusqu’à présent une campagne nationale mieux coordonnée pour soutenir les sept de la CCAT, avec une stratégie vis-à-vis des médias et de nos parlementaires – un peu à la manière de celle menée pour libérer Georges Ibrahim Abdallah par exemple. Depuis quelques semaines, les familles s’appellent régulièrement pour essayer de mieux s’organiser, notamment pour trouver davantage de soutien en France. Un soutien financier, mais aussi politique pour réclamer la libération de nos prisonniers politiques ! On a clairement besoin d’une solidarité la plus large possible.

Qu’attendez-vous des discussions qui viennent de reprendre entre le FLNKS, les anti-indépendantistes et l’État représenté par le nouveau ministre des Outre-mer, Manuel Valls ?

Manuel Valls arrive avec une méthode pour négocier, c’est déjà bien, cela manquait. Ce qu’il a dit lors de son premier passage en Nouvelle-Calédonie a tendance à nous rassurer, nous indépendantistes. Après, l’État français reste l’État colonisateur. On n’oublie pas qu’Emmanuel Macron est toujours président, que Gérald Darmanin est toujours au gouvernement, ils sont pour beaucoup dans la situation de notre pays aujourd’hui. On est aussi face à des « loyalistes », et leurs leaders Metzdorff, Backès, qui touchent le fond et dont on ne sait pas trop quelles concessions ils sont prêts à faire ! Lors de son congrès à Saint-Louis (les 25 et 26 janvier, NDLR), le FLNKS a porté quatre grands points pour ces discussions, dont la libération et le retour des prisonniers politiques kanak. Mais ce qui est clair pour nous, c’est de refuser que cette libération passe par une loi d’amnistie générale comme celle qui a suivi les événements des années 1980. Elle avait permis de libérer nos camarades emprisonnés, mais aussi empêché toute poursuite des crimes de l’État. Onze de nos militants sont morts, nous voulons que justice puisse être rendue. Et nous voulons aussi que la France ait à répondre de la manière dont elle a trainé dans la boue les sept responsables de la CCAT.

Ceci dit, il y a bien sûr la condition des prisonniers politiques, mais la priorité, c’est Kanaky ! C’est la libération de notre peuple tout entier ! L’accord de Matignon était l’accord du rééquilibrage, celui de Nouméa l’accord de décolonisation. Dans cette logique-là, le prochain accord doit être celui de Kanaky. Celui qui décide, avec un calendrier précis, du transfert des compétences régaliennes de la France à notre territoire. Nous avons confiance en nos militants en Kanaky, au FLNKS, en son président Christian Tein pour tenir l’objectif que nous avons tous pris déjà depuis nos grand-pères : l’indépendance de notre pays. Mais avec tout le monde !


→ L’ensemble de notre dossier consacré aux prisonniers kanak déportés en France est à retrouver par ici.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 346 - avril 2025
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