Survie

L’affaire Sarkozy-Kadhafi dans les archives des services libyens

(mis en ligne le 22 septembre 2025) - Raphaël Granvaud

Une enquête réalisée à partir de documents inédits éclaire d’un jour nouveau les attentats libyens de la fin des années 1980 et les efforts des autorités françaises pour en solder les conséquences.

L’un est journaliste indépendant et habitué des questions sensibles, l’autre travaille pour Mediapart, où il a, avec Fabrice Arfi, enquêté pendant plus d’une décennie sur le financement libyen de la campagne électorale de 2007 de Nicolas Sarkozy et ses affaires connexes. Juste avant le début du procès de l’ancien président, Vincent Nouzille et Karl Laske publient L’assassin qu’il fallait sauver (Robert Laffont), nouvelle enquête en grande partie réalisée grâce aux archives d’Abdallah Senoussi, beau-frère de Kadhafi, chef des services secrets libyens et grand ordonnateur des opérations clandestines. Ces documents leur ont permis de retracer les préparatifs des attentats commis par la Libye contre un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan Am en 1988 (259 morts) ; puis contre un DC10 de la compagnie UTA qui faisait le trajet Brazzaville-N’Djaména-Paris (170 morts). Le premier devait punir les bombardements américains de 1986 en Libye, dont Kadhafi avait réchappé de justesse, et le second visait vraisemblablement à venger l’humiliation militaire infligée à la Libye par la France au Tchad.
Le premier mérite du livre est de mettre un terme aux polémiques qui n’avaient pas cessé concernant la responsabilité libyenne. Les nombreux rebondissements des enquêtes et les rétractations de témoins clés avaient alimenté des suspicions. Des personnalités d’horizons divers continuaient de soutenir soit la thèse de l’innocence des Libyens, soit celle de leur instrumentalisation par d’autres commanditaires (Iran, Syrie…). En France, c’est dans l’entourage de François Mitterrand que cette position émerge au début des années 1990. Gilles Ménage, son directeur de cabinet, ou Claude Silberzahn, patron de la DGSE, expriment leurs doutes. Ce dernier fait notamment référence aux enquêtes de l’essayiste Pierre Péan, qui a consacré deux ouvrages au sujet pour blanchir Kadhafi. Il faut dire qu’à cette époque, le ministre socialiste des Affaires étrangères, Roland Dumas, milite activement en faveur d’un lucratif rapprochement avec la Libye, pays producteur de pétrole et grand acheteur d’armes. Les archives libyennes ne laissent plus guère place au doute concernant la responsabilité d’Abdallah Senoussi lui-même dans la préparation des attentats.
L’autre grand intérêt du livre, c’est de retracer les efforts des autorités françaises successives pour normaliser leurs relations avec la Libye placée sous sanctions internationales, au grand désarroi des familles des victimes des attentats. Or pour Kadhafi, cette normalisation passe précisément par l’immunité d’Abdallah Senoussi qui a été condamné par contumace en France. En 2005, un mois après la première visite à Kadhafi de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, son avocat Thierry Herzog se rend à son tour en Libye, pour, selon les documents libyens, explorer quels procédés permettraient de « faire réviser la situation pénale d’Abdallah Senoussi ». « Offrir une porte de sortie au donneur d’ordre de ces attentats, pourtant condamné à Paris, a fait franchir un cran supérieur aux manœuvres de réconciliation avec Mouammar Kadhafi. Le soupçon d’un “pacte de corruption” scellé par l’équipe de Nicolas Sarkozy et la possible implication de l’ancien président français lui-même dans ce deal, seront au cœur du procès qui s’ouvre en janvier 2025 », concluent les journalistes. Le procès est désormais terminé. Rendez-vous le 25 septembre pour le verdict…
Raphaël Granvaud

Je soutiens Survie
#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 348 - juin 2025
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
a lire aussi