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Kanaky : le piège de Bougival

(mis en ligne le 1er septembre 2025) - Benoît Godin

Après la signature surprise, le 12 juillet à Bougival (Yvelines), d’un projet d’accord sur l’avenir de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie entre l’État et les représentants des principales forces politiques calédoniennes, indépendantistes comme anti-indépendantistes, Elizabeth Nouar, journaliste phare de la très colonialiste Radio rythme bleu, faisait ce constat cinglant : « Les indépendantistes peuvent se prévaloir d’avoir gagné la bataille des mots et des symboles. Mais, de leur côté, les partisans de la France ont gagné la bataille des faits et des réalités » (LeMonde.fr, 16/07).

De fait, si le texte prévoit bien la création d’un État calédonien, celui-ci s’inscrirait, tout comme la nationalité qui l’accompagne, dans le cadre de la République française. Un ersatz donc, façon protectorat français au Maroc de 1912 à 1956. L’accession à la pleine souveraineté de l’archipel est certes abordée, mais rendue dans les faits quasiment impossible. En face, les anti-indépendantistes peuvent se targuer d’obtenir (entre autres) un assez large dégel du corps électoral, celui-là même qui avait mis le feu aux poudres l’an dernier.

On ne s’étonnera donc pas que le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) ait, le 9 août lors d’une AG extraordinaire, rejeté en bloc cet accord « en raison de son incompatibilité avec les fondements et acquis de notre lutte ». En revanche, le fait que la délégation qui le représentait à Bougival ait pu signer, sans mandat, un texte si problématique a surpris. Même si ses membres ont rapidement pris leurs distances avec ce dernier, soulignant qu’ils ne s’étaient engagés qu’à soumettre le « projet » à leur camp, le mal était fait. Le président Macron, son gouvernement et la quasi-totalité de la classe politico-médiatique se sont félicités illico de cet « accord historique ». Le camp indépendantiste dans son ensemble en sort un peu plus divisé qu’il ne l’était déjà : en rupture avec le Front depuis les révoltes de 2024, le Parti de libération kanak (Palika) notamment continue de défendre cet « accord de Bougival ». Et du côté de l’État, on semble prêt, comme d’habitude, à passer en force : « Je réaffirme que l’accord va être mis en œuvre », a martelé le ministre des Outre-mer Manuel Valls le 26 août.

Il serait naïf de considérer qu’en convoquant ces discussions à huis clos dans un hôtel Hilton à 17 000 kilomètres de la région concernée, Macron n’avait pas un plan : c’est bien un piège qu’il a tendu à une délégation indépendantiste sous-représentée et visiblement bien démunie face à la machine étatique. Cet « accord » aura été arraché au bout de dix jours (et nuits) d’âpres tractations à des négociateurs forcément épuisés et isolés de leurs appareils politiques et plus encore de leurs bases militantes (et qui plus est privés du président même du FLNKS, Christian Tein, pas invité à la table des discussions). Si cela ne suffisait pas, l’exécutif a encore accentué la pression en conditionnant un éventuel plan de soutien économique pour ce territoire exsangue à la signature d’un accord – entre chantage caractérisé et refus d’assumer sa part (énorme) de responsabilité dans la crise en cours.

Plus grave, l’État impérialiste a fait encore une fois mine de jouer les arbitres et enjoint les indépendantistes kanak de se mettre d’accord avec une (extrême) droite locale raciste et ségrégationniste, renvoyant dos à dos colonisés et colons. Une aberration très calculée : aujourd’hui comme hier, la France s’appuie sur sa politique de peuplement pour conserver, coûte que coûte, son « porte-avion » dans le Pacifique sud. Elle devra être tenue comptable de l’impasse dans laquelle la Kanaky-Nouvelle-Calédonie et sa population demeurent. Tout comme des lendemains difficiles qui s’annoncent.

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