La nomination, le 9 septembre, de Sébastien Lecornu à Matignon n’aura été une bonne nouvelle pour personne, tant elle vient confirmer, malgré une défaite aux législatives de 2024 et l’échec successif des gouvernements Barnier et Bayrou, l’entêtement du camp macroniste à se maintenir au pouvoir quoi qu’il en coûte. Quitte à s’acoquiner avec une extrême-droite dont la proximité idéologique ne fait de toute façon plus guère de doutes. Mais pour une bonne partie des populations des colonies d’outre-mer, ce choix ressemble à s’y méprendre à un bras d’honneur. Le nouveau premier ministre, qui a participé à tous les gouvernements sous Emmanuel Macron, y a en effet laissé des souvenirs exécrables lorsqu’il était à la tête du ministère des Outre-mer de juillet 2020 à mai 2022.
En Kanaky-Nouvelle-Calédonie en premier lieu. « Sa nomination n’augure rien de positif pour l’avenir de notre pays », a immédiatement réagi le Front de libération nationale kanak et socialiste, dénonçant « son accointance avec les radicaux loyalistes » (entendez anti-indépendantistes) et rappelant qu’il « a débuté les hostilités pour conduire le pays dans le chaos que l’on connaît » (communiqué du 10/09).
De fait, Sébastien Lecornu doit être considéré comme l’un des grands responsables, aux côtés d’Emmanuel Macron et de Gérald Darmanin, de la crise politique que connaît le territoire depuis quatre ans. C’est lui en effet qui mit en œuvre le sabotage de la sortie de l’accord de Nouméa, notamment en avançant, puis en maintenant la date de la troisième et dernière consultation d’autodétermination au 12 décembre 2021, alors même que l’archipel (et ses populations océaniennes en premier lieu) était touché de plein fouet par la pandémie de Covid-19. Malgré le boycott du vote par les indépendantistes, et donc par une écrasante majorité du peuple kanak, l’exécutif macroniste décrétait l’affaire pliée : la Nouvelle-Calédonie resterait dans la République. Un passage en force qui, hélas, en annonçait d’autres. On connaît la suite (dramatique).
Son passage rue Oudinot aura aussi douloureusement marqué les Antilles, et spécialement la Guadeloupe. Toujours fin 2021, Lecornu atterrit sur une île secouée par les révoltes contre une gestion catastrophique de la crise du même Covid-19. Si en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, il s’agissait d’envoyer tout le monde voter en pleine propagation du virus, il fallait ici au contraire ramener tout le monde chez soi fissa : Lecornu et le gouvernement décrètent le couvre-feu et envoient GIGN, RAID et blindés sur place pour réprimer la gronde. Sans répondre bien entendu aux revendications politiques et sociales émergeant d’un mouvement qui avait largement dépassé la simple contestation des obligations vaccinales.
Pas surprenant de retrouver notre adepte de la manière forte nommé ministre des Armées en mai 2022, dès Emmanuel Macron réélu. Cet admirateur de Pierre Messmer, grand militant d’un Empire français en déroute et bourreau des Camerounais, en aura profité pour promouvoir la militarisation à outrance de notre pays, et notamment des territoires ultramarins afin, selon ses propres mots, d’y « renforcer notre souveraineté » – lire ou relire à ce propos notre édito de décembre 2024 : « Bruits de botte dans les “outre-mers” » (Billets d’Afrique n°342). Souhaitons que son passage à Matignon soit suffisamment bref pour qu’il ne puisse pas œuvrer davantage en faveur d’un ordre colonial qui, même chancelant, n’en finit pas de faire des ravages.