La libération de Christian Tein et des quatre responsables indépendantistes kanak déportés et encore emprisonnés en France est une bonne nouvelle, mais elle ne marque pas la fin de leur combat judiciaire et politique.
Jeudi 12 juin, la justice a enfin autorisé la libération de Christian Tein, président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), et des quatre autres responsables indépendantistes kanak déportés en France en juin 2024 – Yewa Waetheane, Guillaume Vama, Dimitri Qenegei et Steeve Unë [1]. Ils auront passé près d’un an en détention.
Leurs camarades Frédérique Muliava et Brenda Wanabo-Ipeze, arrêtées en même temps et elles aussi transférées de force dans l’Hexagone, ont été autorisées à rentrer en Kanaky-Nouvelle-Calédonie. Les deux femmes avaient été libérées le 10 juillet 2024, mais maintenues sous contrôle judiciaire strict, avec interdiction de quitter l’Hexagone. Une « assignation à résidence » à 17 000 kilomètres de chez elles, semblable à celle que vont maintenant connaître les cinq hommes : ils ne peuvent ni rejoindre la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, ni entrer en contact entre eux. Les sept militant·e·s kanak restent mis·e·s en examen, toujours pour les mêmes chefs d’inculpation particulièrement graves, relevant pour la plupart du grand banditisme.
Le parquet avait d’ailleurs immédiatement fait appel de la décision des juges d’instruction de relâcher Christian Tein et ses compagnons de lutte. Devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, l’avocate générale a déroulé le même argumentaire ressassé depuis un an, faisant des responsables indépendantistes les « commanditaires » du mouvement insurrectionnel survenu dans l’archipel à partir du 13 mai 2024. Les juges de la cour d’appel n’auront eu besoin que d’une dizaine de minutes pour délibérer et désavouer le parquet, confirmant les ordonnances de remise en liberté.
Selon plusieurs sources, dont le journal Le Monde (12/06/2025), les juges d’instruction parisiens, en charge de l’affaire depuis son dépaysement en janvier dernier, ont indiqué qu’il n’a pas été établi que Christian Tein ait organisé des attroupements armés, ni même qu’il y ait eu de préparation de tels attroupements. Les magistrats soulignent que les écoutes téléphoniques ont montré au contraire qu’il s’était rendu sur le terrain pour appeler au calme. De quoi confirmer ce que les avocat·e·s de la défense ont dénoncé unanimement une fois connue la décision de la cour d’appel : ce dossier est « vide ». Exactement ce que ne cessent de clamer depuis un an les indépendantistes kanak et leurs soutiens en France.
Deux autres militants, Joël Tjibaou et Gilles Jorédié, avaient été interpelés en même temps que Christian Tein, Frédérique Muliava et les autres. En demandant un délai avant d’être présentés devant le juge des libertés et de la détention, ils avaient échappé de peu à la déportation. Ils n’en restent pas moins poursuivis et Gilles Jorédié, relâché de la prison de Nouméa le 19 juin, a même été le dernier inculpé dans cette affaire à recouvrer la liberté. Outre ces responsables politiques dont la situation a fait grand bruit, nombre de personnes restent également poursuivies voire emprisonnées en Kanaky-Nouvelle-Calédonie pour leur action présumée lors des révoltes de 2024. Pour rappel, la réponse répressive de l’État français avait alors abouti à plus de 2500 interpellations et près de 250 incarcérations dans l’archipel [2].
Une fois encore, l’État s’est servi de l’arme judiciaire pour attaquer la revendication indépendantiste kanak. Le 18 juin, lors de sa première conférence de presse après sa libération, Christian Tein a d’ailleurs rappelé qu’il était un « prisonnier politique », militant pour « l’accession de [son] pays à la pleine souveraineté ». Sur le plan politique justement, plus d’un an après le soulèvement populaire, aucune solution n’a encore été trouvée concernant l’avenir institutionnel de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Après l’échec des discussions menées sur place par le ministre des Outre-mer Manuel Valls, Emmanuel Macron semble décidé à reprendre la main. Tout sauf une bonne nouvelle, tant il fut le grand démolisseur du processus de décolonisation et, de ce fait, l’un des principaux responsables de la crise que traverse le territoire.
À l’heure où ces lignes sont écrites, de nouvelles négociations sont annoncées à Paris pour le mois de juillet, sans que l’on en connaisse les dates exactes, le format ou le contenu. Ni même les participants. Les anti-indépendantistes les plus durs, à l’instar du député Nicolas Metzdorf, ont annoncé qu’ils refuseraient de discuter avec Christian Tein, malgré son statut (certes avant tout symbolique) de président du FLNKS. Pour l’extrême-droite coloniale, l’objectif n’a pas changé : d’une manière ou d’une autre, faire taire la voix des indépendantistes kanak. Pour ne pas dire des Kanak.
[1] « En châtier “quelques-uns” pour les mater tous » (Billets d’Afrique n°346, avril 2025).
[2] Sans oublier le sort des dizaines de prisonniers kanak dits « de droit commun » eux aussi transférés de force dans l’Hexagone. À lire : « Les “droits communs” kanak aussi » (Billets d’Afrique n°346, avril 2025) et « Nouvelle-Calédonie : le calvaire des “déportés” anonymes » (Mediapart, 17/05/2025).