
Denis Sassou-Nguesso, président du Congo-Brazzaville, était récemment en visite officielle en France, qui reste pour lui un allié privilégié. Dans le plus pur style françafricain.
Le 23 mai, Emmanuel Macron recevait (plutôt discrètement) à l’Élysée le président de la république du Congo (Congo-Brazzaville), Denis Sassou-Nguesso. Ce dernier est pourtant soupçonné d’avoir fait enlever et séquestrer à peine quelques jours auparavant son opposant Lassy Mbouity, président du parti Les Socialistes, qui avait annoncé sa candidature aux présidentielles de 2026. « Que Denis Sassou-Nguesso soit reçu à l’Élysée comme si c’était un démocrate, c’est une honte et c’est révoltant », s’insurge Martial Pa’nucci, porte-parole en exil de ce parti, interrogé par Mediapart (23/05/2025).
Une honte en effet, mais bien dans la tradition nauséabonde de la Françafrique. Sassou-Nguesso, passé par l’école de formation française des sous-officiers, c’est un total de 40 années à la tête du pays. Un temps écarté du pouvoir, il y revient en 1997, porté par un coup d’État militaire et deux ans d’une guerre qui aura fait quelque 400 000 morts, avec le soutien de Paris et du pétrolier Elf (absorbé en 1999 par Total) – qui, de l’aveu même de son ex-PDG Loïk Le Floch-Prigent, « contrôle » alors le pays (L’Express, 12/12/1996).
Macron, comme tous ses prédécesseurs et les entreprises françaises qui exploitent le Congo, sait pertinemment que Sassou-Nguesso se maintient au pouvoir en écrasant la démocratie. Ainsi, dans son rapport de 2024 intitulé « Quand le déni des droits humains est au pouvoir », le CAD, le Centre [congolais] d’actions pour le développement, alerte « sur la détérioration des droits humains dans le pays », indiquant qu’en 2024, celui-ci « a passé un cap supplémentaire ». Arrestations et détentions arbitraires, tortures, disparitions forcées, exécutions sommaires… L’ONG a documenté 8 216 violations des droits humains, alors qu’elles étaient à 2 092 l’an passé.
Si les relations franco-congolaises n’ont jamais eu à souffrir de ces violations, elles ont par contre connu quelques accrocs sur le terrain judiciaire. Le dossier dit des « biens mal acquis » – un détournement de fonds publics issus de la rente pétrolière – instruit depuis 2007 par la justice française contre le président congolais et ses proches a connu un nouveau rebondissement avec le mandat d’amener délivré fin février à son épouse, Antoinette Sassou-Nguesso (Billets d’Afrique n°347, 05/2025).
Autre proche dans le collimateur de la justice française cette fois pour « blanchiment en bande organisé » : Françoise Joly, conseillère du président congolais, est sous la menace d’une mise en examen pour avoir organisé entre 2021 et 2023, pour le compte de son patron et via une flopée de sociétés écrans, l’achat discret d’un jet privé auprès de Dassault (Africa Intelligence, 23/05/2025).
Le président congolais, ayant insisté pour « faire part à son homologue de son indignation et de sa volonté de remettre à plat la coopération judiciaire entre les deux pays » (Jeune Afrique, 21/05/2025), ces questions « sensibles » ont été au menu de la rencontre du 23 mai, mais hors délégation, en tête à tête. Rien n’en filtrera…
Sinon, la rencontre entre les deux délégations a permis d’aborder « la sécurité en Afrique centrale » (où les deux présidents prétendent jouer un rôle), la (très hypocrite) « lutte contre le changement climatique »… et bien sûr les « investissements économiques », notamment un accord de partenariat énergétique qui profitera au géant de l’eau Veolia, via sa succursale Seureca. Toujours côté business, Sassou-Nguesso a aussi profité de son déplacement à Paris pour rencontrer le Medef international et le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN).
Le Congo-Brazzaville est courtisé par d’âpres concurrents économiques de l’impérialisme français : Chine, Russie, et même Émirats arabes unis… Sassou-Nguesso est même coprésident, jusqu’en 2027, du Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) et ambitionne d’intégrer le groupe des BRICS+, aux côtés notamment de la Chine et de la Russie (Afrik.com, 19/10/2024). Mais le pays, massivement endetté (à hauteur de 94,74 % de son PIB), reste largement dépendant de la France, son premier bailleur de fonds bilatéral, toujours très présent dans le pays avec 200 entreprises, filiales de sociétés française ou avec un management et/ou un actionnariat français. Dont les inévitables Perenco et Total. Avec près de 50 % de la production, ce dernier est le premier acteur pétrolier du Congo, dont pas moins de 80 % des recettes d’exportation et 60 % des recettes budgétaires proviennent de l’industrie pétrolière.
Total vient justement d’annoncer 500 millions de dollars d’investissement dans de nouveaux puits, au moment même où il « abandonne en catimini un projet de compensation carbone au Congo » (Reporterre, 27/05/2025) – un projet controversé ceci dit, de monoculture inadaptée et implantée au prix d’une spoliation des terres… Voilà donc la réalité des prétentions « vertes » d’une des principales entreprises écocides de la planète ! Mais, hier comme aujourd’hui, les intérêts néocoloniaux de la Françafrique valent bien la destruction des droits environnementaux et humains.
Jean Boucher