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« Exposition décoloniale »

(mis en ligne le 5 décembre 2025) - Nicole Maillard-Déchenans

Serge Sebban publie L’Exposition décoloniale - Les pères de l’anticolonialisme au sein de l’Empire français « oubliés » dans les Histoires officielles. Un livre pédagogique qui permet de mettre en lumière des figures du combat contre la colonisation française, comme Ta Thu Thau

L’Exposition décoloniale - Les pères de l’anticolonialisme au sein de l’Empire français « oubliés » dans les Histoires officielles, sorti en début d’année chez L’Harmattan, mérite d’être lu, malgré quelques défauts éditoriaux regrettables (AOF transcrite Afrique Orientale Française, par exemple !). Ce petit ouvrage pédagogique, dont le titre est un pied de nez à l’exposition coloniale de 1931, porte sur un objet plus vaste que ce que son titre complet n’explicite : sur 246 pages, Serge Sebban y fait le tour de l’univers colonial français du XVIIe siècle à nos jours. Il est rendu très vivant par les citations nombreuses et les biographies, intégrées au fil du texte, de personnalités qui ont joué un rôle crucial dans l’action contre le colonialisme et dans la construction de la pensée décoloniale.
Il aborde le colonialisme français dans le contexte géographique et historique mondial qui lui donne tout son relief sans pour autant rester dans les généralités : les étapes importantes de notre impérialisme depuis le Code noir jusqu’au décret Blum-Moutet du 30 décembre 1936 sur… « le travail libre » (!) (p.120), en passant par le Code de l’indigénat et la loi sur le travail forcé, puis sa mutation dans la période dite « post-coloniale » en un système politico-mafieux, y sont traités avec précision.
«  Prolétaires de tous les pays et peuples opprimés du monde, unissez-vous !  », s’exclame Lénine en 1920 lors du 2e Congrès de l’Internationale communiste (p. 50). Nombre de militants révolutionnaires indépendantistes coloniaux l’ont pris au mot – à leurs dépens – et ont engagé leur vie dans ce combat. Serge Sebban s’attarde sur trois d’entre eux : le Sénégalais Lamine Senghor (1889-1927), l’Algérien Messali Hadj (1898-1974) dont le combat est inséparable de celui de sa femme Émilie Busquant (1901-1953), et le Vietnamien Ta Thu Thau (1906-1945 ou 1946).

Un jeune révolté de Cochinchine

Focalisons-nous ici sur ce dernier. Né en Cochinchine de père ouvrier-charpentier, pauvre mais de statut « instruit » selon la catégorisation coloniale dans le cadre de la politique d’assimilation, Ta Thu Thau put, pour cette raison, faire des études.
À 17 ans, admirateur du jeune intellectuel Nguyên An Ninh dénonçant «  la culture utilitaire » servant à former « des esclaves du gouvernement français » (p. 38), il crée le groupe Jeune Annam. Il raconte : « En mes dernières années de collège 1923-1925, la révolte grondait sourdement. Nous passions nos heures d’études à lire des journaux défendus, nos récréations à tenir des réunions secrètes.  » (p. 37) La Section française de l’Internationale communiste (SFIC) le sollicite, alors qu’il est à peine âgé de vingt ans, pour participer aux travaux de sa commission anti-coloniale. Il y connaîtra Lamine Senghor et Messali Hadj, eux-mêmes déjà actifs aussi dans l’Union inter-coloniale (UIC), créée en 1921 et éditrice de la revue Le Paria.
Étudiant en métropole dès 1927, Ta Thu Thau devient à vingt-deux ans président du Parti de l’indépendance annamite (PIA)… dissout par la justice dès 1929 car accusé de diviser la France ! Il rejoint l’Opposition de gauche (nom du courant trotskiste mondial). Les 9 et 10 février 1930, l’insurrection des tirailleurs vietnamiens de la garnison de Yen Bay (Tonkin) rejoints par des étudiants et des civils, organisée par le Parti national du Viêt Nam, gagne diverses régions mais échoue. Ta Thu Thau est expulsé de métropole et placé en «  incarcération préventive » (!) (p. 77) à Poulo Condor, camp de concentration où moururent des dizaines de milliers de militants anticolonialistes.
Les conséquences du krach boursier de 1929 se font durement sentir en Indochine où les salaires sont réduits de 50 % dans les plantations d’hévéas. Grèves et manifestations paysannes ne cessent pas. Ta Thu Thau, libéré début 1933, co-crée un Front unique (communistes et trotskistes ensemble) et le journal La Lutte, en vue des élections municipales du 7 mai et d’autres ultérieures. Cette union locale entre communistes et trotskistes fait leur succès électoral mais les autorités coloniales invalident à chaque fois leurs élections !
En mai 1936, La Lutte annonce un Congrès indochinois en vue d’élaborer un cahier de revendications à remettre au gouvernement Blum. À cette fin, plus de 600 comités d’action voient le jour. Le 19 septembre 1936, le Congrès est interdit et, le 22 février 1937, les comités d’action eux-mêmes le sont aussi. Le 11 octobre, Ta Thu Thau est condamné à deux ans de prison. Libéré sous condition, en très mauvaise santé, en février 1939, il publie à nouveau La Lutte. Le 30 avril, il est élu au Conseil colonial. Il refuse la taxe Daladier exigeant 33 millions de piastres pour soutenir l’effort militaire de l’Empire, contrairement au Parti communiste indochinois (pacte Laval-Staline oblige). La Lutte est dissoute, Ta Thu Thau déchu de ses droits civiques et condamné en avril 1940 à cinq ans de bagne à Poulo Condor. Fin 1945 ou février 1946 (date incertaine), il sera assassiné, comme des centaines d’autres trotskistes, par le Viêt-Minh…

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