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L’Europe externalise sa guerre contre les migrant·e·s

(mis en ligne le 27 décembre 2025) - Jean Boucher

L’actualité récente nous donne deux exemples, en Libye et en Mauritanie, du caractère criminel et inhumain de la politique de sous-traitance des frontières de l’Union européenne.

Le 24 août, le navire humanitaire de l’ONG SOS-Méditerranée, Ocean Viking, était attaqué dans les eaux internationales par des gardes-côtes libyens agissant pour le compte de l’Union européenne (UE). Avec sa politique d’externalisation des frontières, cette dernière sous-traite à plusieurs gouvernements des anciennes colonies africaines de l’Europe, comme la Libye, le blocage des flux migratoires en direction des pays de l’UE, au mépris des droits humains fondamentaux et même des lois internationales.

L’Ocean Viking venait d’effectuer deux opérations de sauvetage de migrant·e·s et se préparait à en effectuer une troisième quand un patrouilleur libyen a ouvert le feu sans sommation sur le navire. À bord, outre l’équipage et les humanitaires, 87 rescapés, pour la plupart soudanais fuyant le Darfour. Aucune victime, mais la centaine d’impacts de balle montre une volonté assez claire de tuer.

Le 5 septembre, SOS-Méditerranée a déposé plainte auprès du parquet de Syracuse pour « tentative d’homicides multiples, tentative de naufrage et dommages au navire ». Elle a souligné la responsabilité non seulement du pouvoir libyen mais aussi de l’Italie et de l’UE. L’Italie, avec le soutien de l’Europe, a en effet signé, le 2 février 2017, un accord avec la Libye, toujours en vigueur, visant à intercepter en mer les migrant·e·s, les refouler et les jeter dans ses centres de détention où iels sont extorqué·e·s, maltraité·e·s, torturé·e·s, violé·e·s par leurs gardiens. Bruxelles, en toute connaissance de ces abus et violences, a versé près de 700 millions d’euros à la Libye entre 2015 et 2022 pour qu’elle fasse le sale boulot raciste de l’UE de fermeture de ses frontières.

« Partenariat en matière de migration »

Trois jours après cette attaque contre l’Ocean Viking, le 27 août, la nature inhumaine et criminelle de la politique migratoire de l’UE en Afrique a été à nouveau dénoncée. Cette fois en Mauritanie : l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch a publié un rapport, couvrant la période 2020-2025 et basé sur des centaines de témoignages et de preuves recueillies y compris dans les centres de rétention mauritaniens. Y sont relatés les abus et violences dont se rendent coupables les « forces de sécurité » mauritaniennes financées et équipées par l’UE à l’encontre d’exilé·e·s africain·e·s : « Profilage racial et ethnique, extorsion, arrestations massives, détention pendant plusieurs jours ou semaines avec peu ou pas de nourriture, expulsions collectives, passages à tabac et torture. »

Le rapport ne manque pas de souligner que ces criminelles « forces de sécurité » ont continué à recevoir « un soutien financier et matériel de la part de l’Union européenne (UE) et de l’Espagne ». Soit 210 millions d’euros versés par l’UE à la Mauritanie en mars 2024 dans le cadre d’un nouveau « partenariat en matière de migration », un accord comparable à ceux conclus avec la Tunisie et l’Égypte pour contenir les flux migratoires. De son côté, en août 2024, l’État espagnol a signé avec la Mauritanie un accord bilatéral renforçant la présence de la police et de la Guardia Civil espagnoles sur le sol mauritanien pour aider les autorités locales à la répression des exilé·e·s. Forces auxquelles il faut ajouter les gardes-côtes de l’agence européenne Frontex, spécialisée dans la lutte anti-migration, à laquelle, dès 2006, Madrid a fait appel pour empêcher les migrant·e·s d’atteindre sa colonie des Canaries, une porte sur l’Europe à plusieurs centaines de kilomètres des côtes mauritaniennes.

D’autres tentent cette longue et dangereuse traversée depuis le Sénégal, la Gambie, le Maroc et le Sahara occidental occupé par le Maroc (l’ONG Caminando Fronteras recense en 2024 près de 10 000 Africain·e·s mort·e·s dans l’océan Atlantique en tentant de rejoindre l’Europe via les Canaries.). Elles et eux aussi sont réprimé·e·s par les « forces de sécurité » de ces pays qui ont passé des accords avec l’UE pour contrôler les flux migratoires. Accords auxquels s’ajoutent ceux passés par plusieurs pays européens – comme la France qui a multiplié les accords bilatéraux dits de « gestion concertée des flux migratoires ». Ces soi-disant « partenariats » – forme policée que prend la domination néocoloniale en ce début de XXIe siècle – enrôlent à coups de centaines de millions d’euros des régimes corrompus et brutaux comme supplétifs pour la guerre menée par l’UE contre les migrant·e·s aux côtés de la police des frontières Frontex (doté par l’UE d’un budget chaque année plus important : 1,12 milliard au total pour 2025).

Contre la fermeture des frontières et les horreurs qu’elle entraîne, Lam Magok, représentant l’association Refugees in Libya (lui-même ayant été refoulé six fois par les gardes-côtes libyens), cité par Mediapart (05/09), rappelle que « les migrants devraient pouvoir circuler librement et trouver refuge n’importe où. On parle de personnes qui fuient la guerre et les difficultés, pas de criminels ».

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