
Un article récent du général Pascal Ianni, chef du Commandement pour l’Afrique (CPA), le confirme. Et présente même l’état actuel du dispositif militaire français sur le continent.

Le retrait forcé de l’armée française du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad puis du Sénégal, entre 2021 et 2025, a engendré un regain de commentaires sur la fin de la Françafrique et parfois des contresens, alimentés par le président de la République lui-même. Non, la France n’est pas partie de sa propre initiative en raison de la nature antidémocratique des régimes issus de coups d’État militaires, pas plus qu’elle n’a choisi volontairement d’abandonner ses bases au Tchad et au Sénégal. À l’inverse, contrairement aux raccourcis un peu rapides de certains journalistes, la rétrocession des bases militaires en Côte d’Ivoire et au Gabon procède bien d’une concertation avec les autorités françaises, et même des pressions de ces dernières sur les présidents Ouattara et Oligui Nguema initialement réticents. Conclusion plus ou moins explicite mais assez largement partagée : l’impérialisme français, en particulier dans sa composante militaire, n’aurait plus cours en Afrique.
Il ne s’agit pas de nier l’importance historique du processus qui a conduit à une réduction drastique de la présence militaire française, qui traduit un rejet généralisé de l’ingérence française parmi les populations africaines. Mais il faut comprendre que les autorités politiques et militaires françaises n’ont toujours pas pris la mesure exacte de ce rejet, ni renoncé à exercer une influence qui, pensent-elles, participe de la puissance et de la « grandeur » de la France.
Un article du général Pascal Ianni, chef du Commandement pour l’Afrique (CPA) récemment créé, publié dans le dossier « L’Afrique face aux mutations stratégiques » du numéro d’été de la Revue Défense nationale (n°882), vient opportunément nous le rappeler. Intitulé « S’adapter aux réalités d’aujourd’hui et entretenir nos partenariats de demain », l’article décrit le dispositif militaire français actuel en Afrique centrale et de l’Ouest, sa logique et ses ambitions. La transformation qui a eu lieu ne relève « ni d’un désengagement, ni d’une diminution de la coopération et encore moins d’une rupture », explique le général. Elle a été mise en œuvre « pour tenir compte de l’évolution du champ des perceptions et du contexte politique et stratégique global » et remédier à « notre vulnérabilité dans le champ informationnel ».
Le rejet de la présence française est en effet surtout mis sur le compte de la désinformation menée par les adversaires de la France, d’où la « nécessité d’un changement de modèle » : « une empreinte plus légère, gagnant en discrétion et en agilité, tout en pouvant répondre aux attentes du partenaire dans des domaines clés, où l’expertise française est reconnue ». Les armées françaises renoncent ainsi à des bases militaires « installées au cœur des capitales, facilement bloquées par une foule mobilisée sur court préavis ». Elles « déploient désormais des détachements temporaires à géométrie variable modulables selon les besoins des partenaires » : des Détachements de liaison interarmées (DLIA) temporaires qui peuvent en réalité être permanents, comme en Côte d’Ivoire et au Gabon. Il s’agit de passer « d’une logique de stock à une logique de flux ».
Le Commandement pour l’Afrique remplace « les quatre états-majors déployés à Abidjan, Libreville, Dakar et N’Djaména » et « a pour mission de planifier et conduire des opérations » dans une Zone de responsabilité permanente (ZRP) : « L’action du CPA est orientée vers quatre objectifs majeurs : la connaissance et l’anticipation, l’influence et la lutte informationnelle, la consolidation du partenariat militaire opérationnel et la mise en œuvre d’une stratégie d’accès, indispensable à la liberté de manœuvre en cas d’intervention (opérations extérieures, évacuation de ressortissants). » On trouve donc confirmation que l’armée française n’a nullement renoncé à conduire des opérations extérieures (opex) et à s’ingérer militairement dans les conflits africains si l’opportunité se présente.
Pour la rendre possible, la France entend apparaître comme un partenaire concurrentiel et plus fiable que ses rivaux « L’approche française est plus globale et déclinée en projets structurants, de l’élaboration de doctrines à la fourniture d’équipements et la mise en place d’un soutien dans la durée », assure le général. L’armée française entend également compenser la diminution de ses effectifs par un renforcement de sa coopération et des formations, qu’il s’agisse « d’une augmentation des places disponibles chaque année dans les écoles militaires françaises » ou d’une valorisation en Afrique du « réseau de 22 Écoles nationales à vocation régionale (ENVR)1 formant chaque année plus de 3 000 élèves issus d’une trentaine de pays ».
Précisons pour finir que l’article ne mentionne pas le maintien d’une base militaire importante à Djibouti, assorti d’un accord de défense à l’ancienne. Dispositif officiellement dédié à la protection des intérêts français dans la zone indopacifique, mais dont le président Macron a prévenu qu’il pourrait être utilisé comme « point de projection pour certaines de nos missions africaines ».