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La justice condamne Sarkozy, les médias dénigrent Mediapart !

Affaire du financement libyen

(mis en ligne le 2 novembre 2025) - Raphaël Granvaud

La condamnation de Nicolas Sarkozy à cinq ans de prison pour « association de malfaiteurs » a donné lieu à un flot de désinformations rarement égalé.

Nicolas Sarkozy est donc le premier président de la Ve République à être incarcéré. Avant de revenir sur le contenu de ce jugement et les réactions qu’il a suscitées, il n’est pas inutile de resituer brièvement les faits incriminés dans leur contexte historique. En 2005, le dictateur libyen Mouammar Kadhafi a presque été complètement réintégré dans le concert des nations, après avoir vu son régime placé pendant plus d’une décennie sous sanction des Nations unies. Il lui aura fallu pour cela se débarrasser de son programme d’armes de destruction massive (ADM) et devenir un collaborateur zélé des Occidentaux dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». Il aura enfin dû indemniser les familles des victimes de deux attentats aériens qu’il avait commandités : en 1988 contre un Boeing 747 de la compagnie Pan Am et en 1989 contre un DC 10 d’UTA, dans lequel 170 passager·e·s dont 54 Français·e·s ont trouvé la mort.

Un terroriste d’État fréquentable

En dépit de ce terrible bilan, le président Mitterrand, comme son ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, ne s’est rallié qu’à contre-cœur aux sanctions voulues par les Américains contre le régime libyen. Son successeur, Jacques Chirac, a rapidement cherché à tourner la page, comme d’autres dirigeants européens. Trois raisons principales à cela : la convoitise pour le pétrole libyen interdit aux compagnies américaines ; les rivalités pour conquérir le marché libyen (et notamment celui des armes), et le rôle de garde-chiourme des migrants que la Libye jouait, déjà, pour le compte de l’Union européenne.

Mais avant que les entreprises françaises (notamment Dassault) profitent pleinement de ses richesses, Kadhafi maintient une exigence : il faut régler le contentieux judiciaire concernant son beau-frère, Abdallah Senoussi, responsable des renseignements militaires libyens et numéro 2 officieux du régime. Ce dernier a en effet été condamné par contumace en France à la prison à perpétuité pour avoir organisé les attentats sus-mentionnés. Remise en cause par deux livres de Pierre Péan, dont les récits étaient alimentés par certains responsables des services secrets français, la culpabilité libyenne a longtemps été questionnée dans la presse française. Elle est désormais attestée par des documents des services spéciaux libyens (Billets d’Afrique n°348, juin 2025).

Un pacte de corruption

C’est dans ce contexte que des agents de corruption comme Alexandre Djouhri, initialement lié aux chiraquiens, et Ziad Takieddine, lié aux sarkozystes, prennent pied en Libye pour le compte de vendeurs d’armes rivaux. Derrière la guerre industrielle se cache un conflit politique pour le financement de la prochaine campagne présidentielle en France. Selon Saïf Al-Islam, fils aîné de Kadhafi, les Libyens se seraient d’abord vu proposer de soutenir financièrement la campagne électorale de Dominique de Villepin, dauphin désigné de Jacques Chirac. Mais ils se rendent rapidement compte que Villepin n’est ni le favori des sondages, ni le candidat des militants. En 2005, c’est son rival, Nicolas Sarkozy, qui a pris le contrôle du parti de la majorité présidentielle, l’Union pour un mouvement populaire (UMP). En outre, Chirac n’apparaît pas très pressé de trouver une solution au problème judiciaire d’Abdallah Senoussi. Les Libyens décident donc de prendre contact avec Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.

Le directeur de cabinet de ce dernier, Claude Guéant, conseillé par Ziad Takieddine, se rend en Libye, où il rencontre secrètement Senoussi. En octobre 2005, Sarkozy rencontre Kadhafi à Tripoli. Un mois plus tard, celui qui deviendra son avocat personnel, Me Thierry Herzog, s’y rend à son tour pour élaborer un scénario juridique visant à faire lever la condamnation par contumace. En décembre, Brice Hortefeux, ministre délégué aux Collectivités territoriales et très proche de Nicolas Sarkozy, rencontre à son tour Senoussi, toujours secrètement. Quelques jours après, un premier virement libyen est effectué en faveur de Thierry Gaubert, autre proche de Sarkozy. En quelques mois, 6 millions d’euros atterrissent sur le compte d’une société-écran détenue par Ziad Takieddine et immatriculée aux îles vierges britanniques. Une fois Sarkozy élu, Kadhafi est invité en grande pompe à Paris, où plusieurs accords de coopération sont signés. Différentes notes attestent par ailleurs que l’entourage du président Sarkozy s’active toujours pour trouver une solution au cas Senoussi, au moins jusqu’en 2009.

Une première judiciaire

Au terme de dix années d’enquête judiciaire et trois mois de procès, Nicolas Sarkozy a donc été condamné à cinq ans de prison ferme pour « association de malfaiteurs ». Il a par contre été relaxé des poursuites pour « recel de détournement de fonds publics » (libyens), de « corruption passive » et de « financement illicite de campagne électorale ». Ce jugement a alimenté de nombreuses incompréhensions exploitées par Nicolas Sarkozy et son clan pour mener une contre-offensive médiatique impressionnante. Sa conférence de presse, tenue au tribunal juste après l’énoncé du verdict, a donné le top départ d’une véritable opération de désinformation, dont une partie au moins est concertée.

Rarement on aura vu charrier un tel torrent de mensonges, d’erreurs, et d’approximations, dont l’émission en accès libre de Mediapart, À l’air libre (« Une semaine de désinformation folle », 02/10/2025) a présenté un florilège ahurissant. Cette campagne, massive dans les médias Bouygues, Bolloré et sur BFMTV, n’a pas non plus épargné une part de la presse écrite (notamment Le Point). Elle a parfois été imposée par les directions à leurs journalistes (« Condamnation de Sarkozy : les dessous d’une semaine de mensonges en continu », Mediapart, 02/10/2025). Alors que les rares spécialistes du dossier (moins de dix journalistes avaient suivi la totalité du procès !) étaient systématiquement écartés, éditorialistes, chroniqueurs et autres commentateurs rivalisaient de mauvaise foi partisane et d’incompétence juridique.

Tandis que Sarkozy jouait la partition du « bon père de famille  » outragé pour faire oublier l’image du délinquant (Arrêt sur image, 05/10/2025), les éléments de langage assénés à longueur d’antenne peuvent être résumés ainsi : puisque Nicolas Sarkozy n’a été condamné ni pour corruption, ni pour financement illicite de sa campagne électorale, c’est donc qu’il n’y a « aucune preuve » (Jean-Michel Apathie, LCI, 28/09/2025). Par conséquent, il ne peut pas y avoir eu association de malfaiteurs. C’est donc, conformément à la thèse inlassablement répétée par Sarkozy, qu’il s’agit d’« un dossier vide ». La condamnation ne relèverait donc que d’une politisation de l’institution judiciaire qui aurait voulu « se payer un ancien président » (Jérôme Jaffré, chercheur associé au Cevipof, C dans l’air sur France 5, 25/09/2025).

Les soutiens de Sarkozy ont également fait leur miel d’une appréciation discutable de la présidente du tribunal, qui a considéré qu’une note de Moussa Koussa (chef des services secrets extérieurs libyens) publiée par Mediapart en 2012 et mentionnant une promesse de financement, était « probablement un faux », quand bien même la justice avait déjà, à trois reprises et jusqu’en cassation, estimé l’inverse. Qu’importe que cette note ne soit qu’un indice parmi de nombreux autres éléments accablants : les soutiens de Sarkozy se sont déchaînés contre les journalistes de Mediapart, accusés de participer à un complot sur la base d’une fake news. Certains, comme Alain Finkelkraut, dénonçant le « rôle extrêmement nocif, toxique » (Radio J, 28/09/2025) des journalistes d’investigation du média en ligne et réclamant même leur incarcération en lieu et place de Sarkozy !

Il faut lire le jugement

En réalité, les principaux collaborateurs de Sarkozy ont bel et bien négocié en 2005 un pacte de corruption en son nom, avec le responsable des attentats terroristes libyens, Abdallah Senoussi-. D’où la condamnation pour « association de malfaiteurs ». Il est attesté que les Libyens ont ensuite «  effectivement versé des fonds – 6 millions d’euros – par l’intermédiaire de Ziad Takieddine, dans le but de financer la campagne de 2007. Mais il n’y a pas de preuve absolue que l’argent ait bien abondé ladite campagne, en dépit d’indices réels », résument Fabrice Arfi et Karl Laske (Mediapart, 25/09/2025). Pas de preuve définitive non plus que le candidat Sarkozy avait connaissance de ce financement illégal, d’où l’acquittement sur ce point. Le complice ne pouvant, en droit français, être condamné en l’absence de l’auteur principal, le trésorier de la campagne, Éric Woerth, a également été relaxé.

De plus, pour qu’il y ait délit de « corruption passive », il faut que le corrompu soit dépositaire de l’autorité publique au moment des faits. Or le tribunal a estimé que ce pacte corruptif avait été négocié par Sarkozy en tant que candidat et non en tant que ministre de l’Intérieur. « Tout acte étranger à la fonction ne peut donc relever du délit de corruption, même s’il était monnayé », écrivent les juges, d’après un critère entériné par la Cour de cassation. Certaines actions postérieures à son élection ont bien été considérées comme liées au pacte corruptif noué par Sarkozy (exfiltration de Béchir Saleh recherché par la justice, signature de contrats ayant donné lieu à des commissions occultes…), mais les actions menées après mai 2007 sont couvertes par son immunité présidentielle

Sarkozy a donc été condamné pour les actes de préparation du pacte de corruption, et non pour la réalisation de ce dernier. Ils constituent déjà « des faits d’une gravité exceptionnelle », a rappelé la présidente du tribunal, qui justifient la condamnation à cinq ans de prison, sur les dix encourus, et le mandat de dépôt prononcé. Un jugement insupportable pour une caste politico-médiatique qui ne supporte pas que les principes ordinaires de la justice soient appliqués aux privilégiés.

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