
Le 27 octobre, le Conseil constitutionnel camerounais a, sans surprise, annoncé la victoire du dictateur Paul Biya à l’élection présidentielle. Une « réélection » saluée par la France et accompagnée d’une sanglante répression des manifestations contestant un scrutin truqué. Le regard d’Odile Tobner.
En 1990, un vent de liberté souffle sur les peuples des ex-colonies d’Afrique francophone subsaharienne qui réclament des « Conférences nationales » pour mettre fin pacifiquement aux régimes néocoloniaux françafricains installés trente ans auparavant. Un seul pays, le Bénin, réussira cette transition. La revendication est particulièrement vive au Cameroun, où une sanglante guerre coloniale a précédé et suivi l’installation en 1960 d’un régime répressif, fondé sur l’anéantissement du parti nationaliste de l’UPC (Union des populations du Cameroun) et présidé par Ahmadou Ahidjo, puis Paul Biya à partir de 1982.
L’espoir renaît donc au sein du peuple camerounais au début de ces années 1990, mais Paul Biya réprime les manifestations, faisant des centaines de morts. La première élection sous le « multipartisme », concédé par le pouvoir, est finalement organisée en 1992. Les principaux partis d’opposition se liguent derrière la candidature de John Fru Ndi, attaqué par le régime pour avoir fondé le SDF (Social Democratic Front). La coalition emporte de toute évidence le scrutin. Le pouvoir, après avoir communiqué un score invraisemblable digne du temps du parti unique – plus de 90 % des suffrages en faveur de Biya, comme en 1984 et 1988 – ramène le résultat à 40 % pour Biya, 36 % pour Fru Ndi. Ce dernier, craignant un nouveau bain de sang, retient les manifestants.
Le même scénario, désormais parfaitement rôdé, va se reproduire pour les élections suivantes, présidentielles ou législatives. La forfaiture s’étale chaque fois impudemment. Aucune règle de droit n’est respectée dans le déroulement du processus électoral, avalisé par des institutions postiches. Des autorités religieuses et politiques ont beau dénoncer cette « mascarade » à répétition, le pouvoir, impavide, déploie l’armée dans les villes, arrête les opposants, muselle la presse. Le pouvoir français, quel qu’il soit, félicite son homologue camerounais et le tour est joué.
Emmanuel Macron va même ajouter à la sinistre farce une prétendue réconciliation des mémoires, conclue avec le régime qui, conjointement avec l’armée française, a exterminé les patriotes camerounais lors de la guerre qui a ravagé le pays au moment de la décolonisation. Hitler se « réconciliant » avec Pétain en quelque sorte, véritable insulte aux morts de la résistance, offerte par le président français à Biya l’imposteur.
Arrive 2025 et la huitième candidature de Paul Biya à l’élection présidentielle, provoquant la dérision à l’international. Mais cette fois la machine à truquer s’enraye. Les progrès du numérique et l’alliance citoyenne du « Mouvement pour le changement » permettent de photographier et de transmettre immédiatement les résultats des bureaux de vote. 80 % des suffrages sont ainsi collectés : ils montrent une victoire irréfutable d’Issa Tchiroma Bakary, son ancien ministre passé à l’opposition. Que va faire le pouvoir ? Penser qu’il pourrait se soumettre à la volonté du peuple serait le créditer d’une intelligence et d’une honnêteté dont il ne possède pas un atome. Il plonge dans un ridicule et un discrédit planétaire que rien ne pourra effacer, en proclamant la fausse victoire de Biya.
Les conséquences immédiates sont tragiques, l’affrontement inévitable. Le peuple camerounais descend massivement dans la rue, la répression se déchaîne avec des tirs à balles réelles dans la foule et des arrestations massives. Le bilan est effrayant-.
Mais même si la clique tribaliste, prédatrice et corrompue au pouvoir s’obstine à se maintenir par la terreur et le crime, sa forfaiture aura cette fois été mise en pleine lumière aux yeux du monde et l’infamie qui la marquera affectera aussi ses parrains français, gouvernement et médias qui, toute honte bue, n’ont pas dénoncé cette victoire volée, couvrant d’un silence de mort le martyre du peuple camerounais.
La répression armée contre un peuple aux mains nues qui défend son droit à la vérité constitue un crime contre l’humanité qui ne peut pas rester impuni. La France et les pays soi-disant démocratiques doivent prendre des sanctions contre les responsables de cette sanglante tragédie, ne plus les accueillir, bloquer leurs avoirs acquis par la force et enfin les traduire devant la Cour pénale internationale. Sinon, qui pourra encore prendre au sérieux leurs gesticulations au nom des droits humains ?