En ce premier semestre 2016, des élections présidentielles convoquent devant les urnes plusieurs régimes clés de la « Françafrique » : le Congo du clan Sassou Nguesso le 20 mars passé, Djibouti aux mains d’Ismaïl Omar Guelleh le 8 avril, le Tchad d’Idriss Déby le 10 avril et le Gabon de la dynastie Bongo le 28 août.
La façon dont ces autocrates préparent et gèrent les élections illustre très bien la nature de ces régimes : manifestants tués, coupure des moyens de communication pendant le scrutin, brutalités à l’égard d’opposants et même de la presse étrangère au Congo ; au Tchad, manifestations interdites, militants des droits de l’Homme et jeunes arrêtés et même tués à quelques semaines du scrutin ; tirs à balles réelles sur un rassemblement et une réunion politique faisant de nombreux morts à Djibouti, etc. Djibouti, Tchad, Gabon, Congo-Brazzaville, ces dictatures africaines jouent un rôle central dans le dispositif militaire français en Afrique, dont l’importance stratégique a été réaffirmée depuis 2012 et les « guerres africaines » de François Hollande.
L’opération Barkhane englobant le « G5 » Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) permet à la France de défendre une de ses zones d’influence économique et géostratégique. Actuellement, sur les deux bases militaires permanentes au Gabon et à Djibouti ainsi qu’au Tchad où se trouve le commandement de l’opération Barkhane, ce sont au bas mot 3150 soldats français qui stationnent en permanence.
Au nom de la stabilité, de la « guerre contre le terrorisme », et ceci malgré les mouvements de contestation croissants, les atteintes à la liberté de manifestation et d’expression et la répression sanglante à l’encontre des populations (à Djibouti, au Tchad, au Congo), la France maintient son soutien indéfectible à Sassou, Guelleh, Déby et Bongo, en particulier au travers de sa coopération militaire et sécuritaire, ce qui la rend complice, a minima indirectement, des exactions.
Comme l’a révélé récemment Mediapart au sujet du Tchad (confirmant un rapport d’information de 2014 de députés de l’Assemblée nationale), cette diplomatie de soutien à des dictatures sous couvert de stabilité est tout à fait assumée et promue par les diplomates et militaires, qui n’hésitent pas à demander un renforcement de la coopération militaire, au moment où les forces armées s’en prennent aux civils, au mépris des populations des pays concernés et de leurs droits économiques et politiques. Cette situation intolérable ne peut déclencher que le désespoir et la colère.
Quand les appels à la résistance pacifique (journées mortes au Tchad) n’engendrent aucune inflexion du politique et accentuent même la répression, quand les manipulations des résultats des urnes apparaissent de façon flagrante (au Congo), on ne peut s’étonner de voir certains opposants recourir à des formes d’action plus radicales. Cette colère s’exprime aussi en France. A Paris en 2015, des opposants congolais avaient tenté de reprendre symboliquement « leur » ambassade puis de marcher vers l’Élysée. Le 24 mars dernier, des militants tchadiens ont occupé l’ambassade du Tchad pour protester contre l’arrestation d’opposants à Idriss Déby.
Ces actions interpellent aussi la France. Il est urgent que les autorités françaises cessent de soutenir les dictateurs. Nous exprimons notre pleine solidarité avec les peuples, qui se battent contre ces dictatures.
Est-il admissible de voir encore des coopérants militaires français opérant sous uniforme tchadien ou congolais en qualité de conseillers des responsables des armées, des directions et services des ministères de la Défense de ces pays ? Est-il admissible de continuer à délivrer des formations et des armes depuis des décennies à des forces armées dont les méthodes habituelles reposent sur la répression ?
Pour nos organisations, la réponse est non. Alors que ces élections sont imminentes, Monsieur le Président, messieurs les ministres, nous vous demandons de suspendre la coopération militaire et sécuritaire avec des régimes liberticides et criminels et de cesser tout accueil de ces dictateurs. Cet acte serait un premier signal fort pour annoncer la fin du soutien inconditionnel français à ces régimes et à leurs exactions.
Nous ne voulons plus de promesses ni de discours incantatoires. La rupture avec la Françafrique se mesure par les actes.
Signataires
association Survie, Tournons la Page France, Sortir du colonialisme
Makaïla Nguebla (Blogueur tchadien /Militant des Droits de l’Homme) Brice Mackosso (Publiez ce que vous payez, Tournons la Page Congo) Christine Delphy (sociologue, collectif Ni Guerres ni état de guerre) Jacques Bidet (philosophe) Daniel Blondet (syndicaliste) Déborah Cohen (historienne) Catherine Samary (économiste) Jules Falquet (socioloque) Félix Bongo (Réagir Gabon) Françoise Kessany (Ca suffit comme ça, Gabon) Gloria Mika (Anges gardiens du Gabon) Marc Ona Essangui (Publiez ce que vous payez, Tournons la page Gabon) Jean Loup Schaal (Association pour le respect des droits de l’Homme à Djibouti) Jacques Lecronc (coprésident de la FASTI) Saïd Bouamama (sociologue)
Tribune publiée par Libération - http://www.liberation.fr/debats/2016/04/06/elections-en-francafrique-la-france-doit-en-finir-avec-son-soutien-militaire-aux-dictatures_1444398