Lorsque dans les années 1990, François-Xavier Verschave se saisit du néologisme « Françafrique », il décrit comment, depuis les indépendances, un système de domination indirecte se substitue à la gestion coloniale classique. Grâce à son travail et à celui de l’association Survie, le terme « Françafrique » s’impose dans le débat public. Mais c’est aussitôt pour être relégué dans un passé n’ayant prétendument aucun lien avec la politique africaine du moment : les accusations, même solidement documentées, sont balayées comme autant d’affabulations de militants mal renseignés, qui n’auraient pas compris qu’on avait changé d’époque.
Les discours sur la « fin de la Françafrique », la « normalisation » ou la « refondation » des relations franco-africaines s’appuient en général sur la disparition de certaines figures emblématiques, sur des réformes des institutions de la politique africaine française ou sur des contextes de crise avec certains pays. Ses fondamentaux ont beau perdurer, la Françafrique passe régulièrement pour la photo jaunie et écornée d’une époque révolue dans les milieux politiques, médiatiques et académiques. Depuis 2022, ce refrain a ainsi été entonné à nouveau après le départ forcé de l’armée française du Mali, du Burkina Faso et du Niger. L’année 2023 a ainsi été marquée par des évolutions dans les rapports de force et les rapports symboliques entre la France et ces pays d’Afrique francophone. A la tête de ces trois États, les nouveaux régimes ont bénéficié de la révolte de populations déterminées à en finir avec cette présence française et à défendre leur souveraineté. Si ce n’est pas la première fois que des mobilisations d’ampleur ont lieu contre l’impérialisme français, celles-ci sont néanmoins historiques ! Au Tchad, où se trouve la dernière base militaire française « temporaire » au Sahel, la contestation de cette présence se fait dans un contexte politique particulièrement tendu. La France persiste à soutenir son allié, alors que la répression perdure et que Mahamat Déby verrouille l’espace politique afin de rester au pouvoir.
2023 a aussi été marquée par le renversement d’Ali Bongo au Gabon. En 2009 et 2016, il avait été précédemment soutenu et couvert dans sa captation du pouvoir par la France, qui a cette fois d’autant plus facilement lâché son ancien allié, honni par la population, qu’elle a obtenu des garanties quant à la préservation de ses intérêts économiques et stratégiques.
Ailleurs, la guerre fait rage, en Ukraine, en Palestine, mue par la négation de populations et de leur droit à la terre et à l’autodétermination. Dans ce contexte, l’année 2024 doit être celle de la construction d’une mobilisation large contre la présence militaire française en Afrique, en lien avec le mouvement internationaliste qui se positionne avec vigueur contre toutes les ingérences militaires françaises à l’étranger, contre les guerres coloniales et pour l’autodétermination des peuples.Le racisme diffus qui imprègne la société française permet une résilience coloniale : il serait presque « naturel » que la France ait des bases et des coopérants militaires en Afrique et le souci de conserver des parts de marchés ou de préserver des intérêts géopolitiques justifierait toute forme « d’influence », pourvu qu’elle soit légale. La perpétuation de ce système a un prix : des impacts sociaux et écologiques catastrophiques et un pouvoir dangereux de l’armée et des grandes entreprises sur les décisions prises au sommet de l’État.
Face à la tiédeur des médias et à la passivité du Parlement français, la mobilisation populaire est plus que jamais nécessaire pour décoloniser enfin les relations entre la France et l’Afrique.
La rédaction