Le génocide des Tutsis au Rwanda a fait entre 800 000 et 1 million de victimes, massacrées dans des conditions atroces, pour la seule raison qu’elles étaient tutsies. Il s’est accompagné du massacre de Hutus opposés à cette extermination.
En soutenant les auteurs du génocide, les autorités politiques et militaires françaises se sont rendues complices de ce crime. Cette complicité est attestée par de nombreux documents et témoignages, pourtant aucun responsable français n’a été jugé. Il en va de notre responsabilité de citoyens de mettre fin à plus de 25 ans d’impunité en réclamant la justice, pour les victimes du génocide et par exigence démocratique - car c’est le fonctionnement des institutions françaises qui est ainsi en question.
Les groupes Hutus et Tutsis ne constituent pas des ethnies différentes mais plutôt des catégories "socio-économiques".
Avec la colonisation, les Européens ont apporté une lecture raciale qui a ensuite été accentuée selon la logique "diviser pour mieux régner".
Le génocide des Tutsis, qui a duré 3 mois du 7 avril à mi-juillet 1994, répondait à la volonté criminelle du régime rwandais de l’époque, mais c’est aussi le résultat d’une idéologie raciste. La guerre contre le Front Patriotique Rwandais (FPR), constitué en grande majorité de Tutsis exilés suite aux pogroms et aux massacres dont ils ont été victimes depuis 1959, a servi de cadre à cette entreprise génocidaire. Depuis 1990, les extrémistes hutus au sein du régime n’ont eu de cesse d’attiser la haine anti-Tutsis au sein de la population, ultime instrumentalisation d’une division Hutus/Tutsis utilisée comme arme politique
L’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana a constitué l’événement décisif pour la prise du pouvoir par ceux qui se réclamaient du Hutu Power et mirent en oeuvre leur projet génocidaire. Ce génocide, reconnu plus tard par la communauté internationale, a pu être mis en oeuvre grâce au silence des grandes puissances, mais aussi et surtout au soutien apporté par les autorités françaises.
Plusieurs massacres à caractère génocidaire ont déjà été organisés sous la responsabilité des autorités rwandaises, et Paris est informé dès l’automne 1990 par l’Ambassade de France à Kigali du risque d’extermination des Tutsis. Dès janvier 1993, suite à sa participation à une mission d’observation au Rwanda par la Fédération internationale des droits de l’Homme, Jean Carbonare, alors président de Survie, intervient au "20 heures" de France 2 pour alerter l’opinion :
« C’est une politique organisée (...). On a parlé de purification ethnique, de génocide, de crime contre l’humanité dans le pré-rapport que notre commission a établi. (...) Notre gouvernement, qui supporte militairement et financièrement les autorités rwandaises, a une responsabilité... Il faut qu’on fasse quelque chose ».
La France peut donc arrêter son soutien au régime rwandais et faire pression pour enrayer son escalade génocidaire. Elle n’en fait rien.
« Dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas trop important »
Cette phrase du Président Mitterrand (prononcée à l’été 1994 et rapportée par un journaliste) résume le mépris et le cynisme de la politique française en Afrique . En cessant de soutenir son allié rwandais, la France risque de perdre pied dans ce pays situé aux portes de l’immense Zaïre et ses richesses minières, et plus largement dans cette Afrique de l’Est en grande majorité anglophone. Elle apporte donc avant, puis pendant le génocide, un appui à la fois militaire, diplomatique et financier au pouvoir rwandais. Ainsi les intérêts géopolitiques de la France et la fidélité affichée à ses alliés, fussent-ils des régimes autoritaires et criminels, constituent les priorités de l’engagement français au Rwanda. Le génocide est considéré comme secondaire.
Soutien militaire à une armée en déroule
La France forme l’armée et la
gendarmerie rwandaises à partir
de 1990, permettant aux effectifs
des Forces Armées Rwandaises
(FAR) d’être multipliés par 10 (de
5 000 à 50 000 hommes). Des
témoins ont indiqué que des
miliciens ont également été formés
par des militaires français. En 1990,
pendant l’opération militaire Noroît
(1990-1993), officiellement
destinée à la protection des
expatriés français, l’armée
française s’engage aux côtés des
FAR sur le front contre le FPR,
pour bloquer son avancée. A cette
époque, les Tutsis rwandais
subissent une forte discrimination
et plusieurs massacres sont
commis en toute impunité.
Les militaires français restent
passifs face au génocide. Pendant
l’opération Amaryllis, mise en place
pour l’évacuation des ressortissants
français au début du génocide, les
troupes françaises n’interviennent
pas pour faire cesser les massacres
dont elles sont les témoins directs.
Pendant l’opération militaire Turquoise,
menée à partir de fin juin 1994 par
la France sous mandat de l’ONU,
les soldats portent secours à des
Tutsis mais laissent par ailleurs des
actes de génocide se poursuivre
dans la zone sous leur contrôle.
Ainsi, à Bisesero, des rescapés
tutsis découverts par une patrouille
française sont délibérément
abandonnés 3 jours durant aux tueurs.
Le 27 juin 1994, dans les montagnes de Bisesero à l’ouest du Rwanda, une patrouille française découvre une centaine de survivants tutsis traqués quotidiennement par les génocidaires, et en informe sa hiérarchie. Près de deux mille survivants se terrent, dispersés sur les hauteurs. Ces Tutsis en danger de mort ne sont ni évacués, ni protégés. Ce n’est que trois jours plus tard, le 30 juin, qu’un autre détachement des forces de Turquoise, détournant pour cela leur ordre de mission, leur porte secours. Entre temps, plus d’un millier d’entre eux ont été massacrés par les génocidaires. Il s’agit d’un épisode emblématique du débat sur le rôle de la France dans le génocide : Pourquoi ce délai ? Que s’est-il passé du 27 au 30 juin 1994 dans la chaîne de commandement militaire et politique française ?
La France livre des armes avant et pendant le génocide. Cela a été expliqué par Hubert Védrine en 2014 comme "la suite de l’engagement d’avant" aux côtés des forces armées rwandaises, toujours en guerre contre le FPR. Mais même l’embargo décidé par l’ONU en mai n’empêche pas les armes d’arriver par Goma, au Zaïre, à la fin du génocide, quand l’aéroport est contrôlé par les militaires français de l’opération Turquoise.
Pendant l’opération Turquoise, la France protège puis laisse fuir les génocidaires. La "Zone Humanitaire Sûre" (ZHS), contrôlée par la France au sud-ouest du pays, sert de refuge aux génocidaires qui n’y sont ni désarmés ni arrêtés. Le gouvernement intérimaire rwandais (GIR), une partie de l’armée et des milices génocidaires fuient librement vers le Zaïre voisin avec armes et bagages. En refusant d’arrêter les acteurs du génocide et au contraire en facilitant leur fuite, la France viole la Convention de l’ONU sur la prévention et la répression du crime de génocide qu’elle a signée, qui enjoint de déférer les présumés coupables à la justice. De plus, ces armées préparent la reconquête du Rwanda, la France les entraîne et les réarme. Ils formeront plus tard les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) qui seront à l’origine de la déstabilisation des Kivu, deux régions frontalières du Zaïre.
Soutien diplomatique à un régime extrémiste
Le soutien politique apporté au pouvoir rwandais est décisif.
Suite à l’attentat mortel contre l’avion
du président Habyarimana le 6 avril
et à l’assassinat des responsables
politiques opposés au génocide,
le Gouvernement intérimaire
rwandais (GIR) est constitué en
partie au sein même de l’ambassade
de France à Kigali, avec le soutien
de l’ambassadeur. Ce nouveau
gouvernement devient le maître
d’oeuvre du génocide. Les autorités
françaises soutiennent le GIR à
l’ONU où il siège au Conseil de
sécurité en tant que membre non
permanent et reçoivent plusieurs de
ses leaders en France : le 27 avril
1994, le ministre des Affaires
étrangères du GIR - lequel est en
train de commettre le génocide - et le
leader du parti extrémiste CDR sont
reçus officiellement au Quai d’Orsay
par Alain Juppé, à Matignon par
Edouard Balladur et à l’Elysée par
Bruno Delaye, conseiller Afrique de
François Mitterrand.
Soutien financier à la livraison d’armes
Les créanciers des génocidaires.
De 1991 à mars 1994, l’ensemble
des bailleurs de fonds, dont la
Banque mondiale et la coopération
française, financent un régime dont
ils savent qu’il affecte une grande
partie de ces versements à l’achat
d’armes et d’équipements (50% des
recettes de l’Etat en 1992), utilisés
ensuite pendant le génocide. Après
le déclenchement du génocide, le
gouvernement trouve encore des
banques qui acceptent de financer
des achats d’armes, comme la BNP
dont un des comptes sert à payer
l’achat effectué par le colonel
rwandais Bagosora aux Seychelles,
livré les 16 et 18 juin 1994.
« Un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou partie le groupe national, ethnique, racial et religieux, visé comme tel. »
— Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), Chambre de première instance, 7 juin 2001.
Cette définition de la complicité s’applique en droit français. En vertu de la loi du 22 mai 1996 qui donne compétence aux tribunaux français pour appliquer les statuts du TPIR. A ce titre, la justice peut être saisie pour poursuivre pour complicité de génocide les responsables politiques et militaires français qui ont soutenu les génocidaires.
L’Etat français continue de nier sa responsabilité
Les travaux de nombreux chercheurs,
journalistes, associations, attestent
pourtant de l’ampleur du soutien
apporté par les autorités françaises
au régime génocidaire.
Le travail de la Mission d’information
parlementaire (MIP) de 1998 sur le rôle
de la France au Rwanda ne se résume
pas aux conclusions médiatiques de son
président Paul Quilès, qui dédouane les
autorités de l’époque. Ce rapport pointe
beaucoup d’éléments dérangeants qui
auraient dû faire l’objet d’une Commission
d’enquête parlementaire, aux prérogatives
plus étendues. La plupart des acteurs
politiques, de gauche comme de droite
(elles gouvernaient en cohabitation en
1994), continuent de se taire ou de nier
leur implication. Le pouvoir politique et
militaire invoque le Secret Défense pour
dissimuler certaines archives. Dans
l’instruction de certaines plaintes pour
« complicité de génocide et complicité
de crimes contre l’humanité », visant des
militaires français de l’opération Turquoise,
les responsables militaires bénéficient
d’une forme d’autocensure de la part des
juges, qui font tout pour éviter de les
mettre en cause. Il est légitime de se
demander si cette attitude vise à protéger
des décideurs français face à la justice.
Un discours négationniste ambiant
Certains responsables politiques,
journalistes, chercheurs, nient ou
relativisent le rôle de la France dans
le génocide en utilisant des
arguments négationnistes tels que
l’accusation de « double génocide »
(qui met sur le même plan les
crimes commis par le FPR et le
génocide perpétré contre les Tutsis)
ou l’affirmation selon laquelle le
génocide serait une réaction
spontanée des Rwandais suite à
l’assassinat du président
Habyarimana. Cela revient à nier
que le génocide était préparé de
longue date et que, le sachant, la
France a néanmoins poursuivi son
soutien au régime rwandais.
Un justice particulièrement lente La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour la lenteur de sa justice en 2004 dans l’examen d’une plainte déposée contre un présumé génocidaire rwandais. Véritable terre d’asile pour les présumés génocidaires, la France a attendu 2010 pour créer un Pôle d’instruction dédié aux crimes contre l’humanité, en place depuis 2012. Le premier procès s’est tenu en 2014 et s’est conclu par la condamnation de Pascal Simbikangwa à 25 ans de prison. La confirmation de ce verdict en appel a ainsi permis à la justice française de reconnaître enfin l’existence même du génocide. D’autres procès ont eu lieu depuis, ou devraient avoir lieu prochainement, mais cela avance très lentement : en tout, une trentaine de plaintes contre des Rwandais ont été déposées ! Quant aux plaintes qui visent des Français, aucune n’a encore débouché sur un procès.
En soutenant les auteurs du génocide, les autorités politiques et militaires françaises se sont rendues complices de ce crime. Cette complicité est attestée par de nombreux documents et témoignages, pourtant aucun responsable français n’a été jugé. Il en va de notre responsabilité de citoyens de mettre fin à plus de 25 ans d’impunité en réclamant la justice, pour les victimes du génocide et par exigence démocratique - car c’est le fonctionnement des institutions françaises qui est ainsi en question.
Pour obtenir la justice et mettre fin à l’impunité
Pour faire connaître toute la vérité
Pour que nos institutions ne permettent plus de telles complicités