Après un séjour dans la dictature camerounaise pour s’afficher avec le plus vieux dirigeant d’Afrique, la visite présidentielle au Bénin a été l’occasion pour Macron de s’autocongratuler au sujet de la restitution de quelques biens culturels volés durant l’époque coloniale et d’arrimer le Bénin à la « lutte contre le terrorisme ». La restriction drastique des libertés publiques et de la compétition électorale dans ce pays ces dernières années a, quant à elle, été soigneusement passée sous silence, comme toutes les violations des droits humains au Cameroun.
Hier au Cameroun, le président français a une nouvelle fois fait preuve de ses talents d’orateur en débattant prétendument « sans tabou » pour tenter surtout de relégitimer la relation franco-africaine face à l’influence russe, passant sous silence la guerre en cours dans les régions anglophones, la détention arbitraire d’opposants, les actes de torture documentés et les multiples exactions de l’armée de Paul Biya. L’annonce de la création d’une commission d’historiens permet de lever potentiellement un tabou politique sur la guerre d’indépendance du Cameroun, mais ne répond pas à la demande de reconnaissance des faits déjà documentés et d’excuses vis-à-vis des victimes de l’armée française dans ce pays de 1955 à 1971.
Aujourd’hui à Cotonou, l’exercice de communication a logiquement continué [1]. Emmanuel Macron et son homologue béninois Patrice Talon se sont félicités de la restitution en novembre dernier par la France des 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey. Bien maigre consolation au regard des 88 000 objets issus du patrimoine culturel africain qui demeurent encore dans les collections publiques françaises [2] et du pillage des objets d’art africain qui bat toujours son plein [3]. Quant à l’appui militaire français au Bénin, l’échec de Barkhane au Sahel a démontré, s’il en était encore besoin, que la « lutte antiterroriste » telle que la mènent les puissances occidentales alimente en réalité la violence contre laquelle elles prétendent lutter [4].
Sans surprise après sa discrétion au sujet des droits humains au Cameroun hier, le président français n’a pas eu un mot sur le recul des libertés publiques sans précédent au Bénin depuis la transition démocratique du début des années 1990. Patrice Talon, le « roi du coton », qui a fait fortune en profitant des privatisations imposées par le FMI s’est en effet attelé à démanteler l’État de droit depuis son accession au pouvoir en 2016. Des lois sur les partis politiques et les élections ont considérablement limité l’accès à la compétition électorale. La presse est également dans le collimateur du pouvoir béninois : plus d’une dizaine de journalistes ont été emprisonnés depuis 2018 et l’adoption d’un « Code du numérique ». Plusieurs opposant.e.s ont par ailleurs été arrêté.e.s et lourdement condamné.e.s pour terrorisme ou trafic de stupéfiants [5].
Avec Patrice Talon, le Bénin renoue avec un autoritarisme dont les démocrates de ce pays s’étaient débarrassés au prix de mobilisations héroïques, cette fois paré des atours du néo-libéralisme. En restant silencieux sur les pratiques du pouvoir béninois, Macron avalise le recul démocratique d’un pays qui était salué jusqu’à récemment pour son Etat de droit et son système démocratique ayant permis plusieurs alternances pacifiques.
Pour Pauline Tetillon, co-présidente de Survie, " Au Cameroun comme au Bénin, Emmanuel Macron s’assoit sur les violations des droits humains. L’influence française serait à ce prix, laisse entendre l’Élysée. Nous pensons au contraire que cette politique, qui n’a vraiment rien de nouveau à part une mise en scène de dialogue détendu en bras de chemise, alimente un rejet légitime de l’ingérence française et pave la voie à tous les populistes, pro-russes ou non. C’est donc une double peine pour les démocrates sincères de ces pays."
Contact : Mehdi Derradji 06 52 21 15 61 communication@survie.org
[1] L’exercice se poursuivra demain en Guinée-Bissau, permettant ainsi à l’Elysée de mettre en exergue ses relations avec des pays non-francophones et situés hors du pré-carré traditionnel de la France en Afrique.
[2] https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/BAQUE/62067
[4] Voir à ce sujet la tribune de Raphaël Granvaud, membre de Survie, "La stratégie de la France a échoué à faire preuve de son efficacité. Au Mali ou ailleurs, il n’y a pas de bonne intervention militaire", dans L’Humanité du 28 février 2022 https://www.humanite.fr/en-debat/sahel/la-france-devait-elle-quitter-le-mali-739963
[5] Sur les dérives du régime de Patrice Talon, voir notamment : https://www.iris-france.org/155804-au-benin-un-cycle-de-regression-democratique-sans-precedent/