
Une élection verrouillée d’avance
Lundi 27 octobre, le Conseil constitutionnel camerounais a, sans surprise, annoncé la « victoire » du dictateur Paul Biya avec plus de 53 % des voix, tandis que son ancien ministre passé à l’opposition, Issa Tchiroma Bakary, n’est crédité que de 35,19 %. Ce dernier revendique pourtant la victoire et a appelé ses partisans à « sortir massivement dans toutes les villes du Cameroun, dans chaque village, chaque quartier, ainsi que dans la diaspora ». Depuis dimanche, des manifestations et rassemblements ont lieu, férocement réprimés par le régime de Biya. Plusieurs morts sont à déplorer - impossible de savoir combien. La résidence de Issa Tchiroma Bakary est encerclée par des snipers et des tirs ont eu lieu devant chez lui. Des poursuites judiciaires contre Issa Tchiroma Bakary ont été annoncées par les autorités camerounaises pour "plan insurrectionnel".
Un Conseil constitutionnel aux ordres du régime
Avant la proclamation officielle du 27 octobre 2025, le Conseil constitutionnel camerounais a examiné huit recours le 22 octobre dernier. Sept de ces requêtes ont été retoquées immédiatement pour des vices de procédure et n’ont ainsi pas été examinées sur le fond. Seule la requête de la candidate de l’UDC (Union Démocratique du Cameroun), Tomaino Ndam Njoya, demandant l’annulation de l’élection en raison de constatation de fraudes massives a été traitée puis rejetée.
Ce même Conseil constitutionnel camerounais avait rejeté, en août 2025, la requête de Akere Tabeng Muna, avocat, candidat du Parti Univers, vis-à-vis de l’inéligibilité de Paul Biya conformément à l’article 118 de la loi électorale : “Sont inéligibles les personnes qui, de leur propre fait, se sont placées dans une situation de dépendance ou d’intelligence vis-à-vis d’une personne, d’une organisation ou d’une puissance étrangère". Au cours de ce même mois d’août, la candidature de Maurice Kamto, avocat, leader du MRC, principal opposant au régime (même si il a lui aussi été ministre de Biya quelques années auparavant...) a été invalidée par le Conseil constitutionnel en raison de la "pluralité des investitures" du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem). Deux candidats se réclamaient du Manidem bien que Maurice Kamto était le seul à avoir légalement été investi par ce dernier. Les deux candidatures ont été invalidées. Le code électoral camerounais n’interdit pourtant pas qu’un parti investisse deux candidat.e.s : le terme de "pluralité des investitures" semble être une invention juridique du Conseil constitutionnel pour invalider la candidature de Kamto à la veille de l’élection.
Il est important de rappeler que les membres du Conseil constitutionnel sont nommés par le Président de la République du Cameroun uniquement, c’est-à-dire Paul Biya lui-même. Il est actuellement composé de plusieurs anciens ministres et hauts cadres du RDPC (parti de Paul Biya) mais aussi d’anciens sénateurs et anciennes sénatrices du RDPC. De plus, le président du Conseil constitutionnel camerounais, Clément Atangana, est membre de l’association ADENSO qui avait pris position publiquement pour Paul Biya avant l’élection d’octobre 2025. Une institution d’une grande neutralité, donc !
Répression sanglante des mobilisations populaires
Paul Biya, vieillard de 92 ans, est au pouvoir depuis 43 ans, et gère par procuration (il est le plus souvent absent, préférant les palaces suisses) un pays appauvri, mis en coupe réglée par une classe politique vieillissante et prédatrice, et déchiré par une guerre civile. Depuis 2017, dans le plus grand silence, les régions anglophones subissent une répression aveugle, alimentée entre autres par des livraisons d’armes françaises.
Avant même l’annonce des résultats officiels, la police et l’armée ont commencé à réprimer brutalement les mobilisations populaires contre cet énième hold-up électoral, notamment à Douala, capitale économique, et Garoua, fief de l’opposant Tchiroma. Des chars ont été déployés et on compte déjà plusieurs morts en plus de nombreuses arrestations.
Silences complices et félicitations diplomatiques
Dans une des rares prises de parole sur cette situation préoccupante, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme a déclaré sur le réseau social X : « Depuis [dimanche], nous recevons des informations choquantes faisant état de personnes tuées, blessées ou arrêtées lors de manifestations liées à l’annonce [lundi] des résultats de l’élection présidentielle. Nous appelons à la retenue, à l’ouverture d’enquêtes et à la fin des violences ».
L’Union européenne a "déploré" les morts de civils - sans condamner la répression - et "invité" les autorités camerounaises "à identifier les responsables, à faire preuve de transparence et à faire justice afin de lutter contre le recours excessif à la violence et les violations des droits humains". Les ambassadeurs des pays occidentaux se sont simplement abstenus de se rendre à l’investiture de Biya. De son côté, le président de la Commission de l’Union africaine, Mahamoud Ali Youssouf, a félicité Paul Biya et a appelé au dialogue tout en se disant « vivement préoccupé par les violences, la répression et les arrestations signalées de manifestants et d’acteurs politiques suite aux résultats des élections ».
La France soutien de la dictature
La France, ancienne puissance coloniale, n’a pas non plus jugé bon de dénoncer un massacre annoncé. Alors même que ce scénario était écrit d’avance, Emmanuel Macron n’avait pas ménagé ses efforts pour donner préalablement des gages à la dictature de Paul Biya.
En février, les deux présidents s’étaient « félicités de la qualité des travaux menés par la Commission mixte franco-camerounaise pluridisciplinaire sur le rôle et l’engagement de la France au Cameroun dans la lutte contre les mouvements indépendantistes et d’opposition entre 1945 et 1971 ». La remise du rapport par l’historienne Karine Ramondy, successivement au président Emmanuel Macron, au palais de l’Élysée, et à son homologue Paul Biya, au palais d’Étoudi, à Yaoundé, avait permis au président camerounais de se poser en promoteur d’une histoire nationale émancipée, alors qu’il est précisément l’héritier direct du régime mis en place pendant la guerre menée par la France contre les indépendantistes camerounais pendant la période dite de "décolonisation". Une lettre personnelle adressée fin juillet 2025 par Emmanuel Macron à Paul Biya a renforcé cette démarche. Les travaux de la commission Ramondy, écrivait le président, "permettront de continuer à bâtir l’avenir ensemble [et] de renforcer la relation étroite qui unit la France et le Cameroun".
En juin, c’est le général Hubert Bonneau, commandant de la Gendarmerie nationale française, qui se rendait en visite officielle de deux jours au Cameroun pour renforcer les relations sécuritaires entre les deux pays. L’École supérieure internationale de guerre, où sont formés les officiers supérieurs camerounais, et l’École internationale des forces de sécurité à Awaé, toutes deux pilotées avec le soutien de la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère français des Affaires étrangères, participent de cette coopération sécuritaire. De même que la présence de coopérants militaires français auprès des autorités politiques et militaires camerounaises, dont le nombre et les missions font l’objet de la plus grande opacité, de même que la livraison de matériel sécuritaire. Cette visite a même marqué « une nouvelle étape dans le renforcement des relations sécuritaires entre les deux États », assure le mensuel Jeune Afrique. Quatre mois seulement avant les élections, le général Bonneau n’avait pas manqué de visiter et féliciter ceux qui mènent aujourd’hui la répression post-électorale.
Fin août, c’est l’ambassadeur de France au Cameroun, Thierry Marchand, qui était reçu en audience par Paul Biya. « L’entretien a été cordial et dense et a permis de réaffirmer les liens de confiance et de coopération mutuellement bénéfique entre le Cameroun et la France », selon le communiqué officiel.
Comment pas lire dans ces différentes initiatives un blanc-seing accordé par la France au massacre post-électoral alors en préparation ? Il s’agit de garder les meilleures relations possibles avec la dictature camerounaise, avec l’espoir de peser dans la guerre de succession qui s’annonce vu le grand âge de l’autocrate, pour protéger les intérêts encore importants de quelques entreprises françaises dans le pays, comme Orange, Bolloré, Perenco, Castel, Vinci, Bouygues, pour ne citer que les principales. L’attitude des autorités françaises témoigne d’une profonde incompréhension du rejet des peuples africains pour la politique de la France, qui a pourtant déjà conduit au départ contraint de l’armée française dans les pays du Sahel.
L’association Survie demande :
– La fin immédiate de la coopération militaire française avec les forces de répression du pouvoir camerounais.
– L’interdiction de voyager en France pour les personnalités proches du pouvoir, hors attributions diplomatiques, et le gel des avoirs bancaires et immobiliers en France des personnalités impliquées dans la fraude et la répression.
– La fin de l’instrumentalisation de l’histoire coloniale et néocoloniale de la France au Cameroun et l’ouverture d’un processus de justice et de réparation pour les crimes commis par l’armée française.
– La fin de toute ingérence politique de la France au Cameroun.