Survie

Crise ivoirienne : la France doit se dissocier de Taylor et ses complices

Publié le 25 mars 2003 (rédigé le 25 mars 2003)

La crise ivoirienne n’est pas terminée, elle peut encore dégénérer. L’envahissement des médias par les images et commentaires de la guerre en Irak est propice aux mauvais coups de ceux qui, ailleurs, vivaient mal les appels à la paix et à la raison. Ni Laurent Gbagbo, ni les rebelles ne se contentent vraiment du verre à moitié plein qui leur est servi avec la mise en œuvre de l’accord de Marcoussis, suite à l’entremise adroite du président ghanéen de la communauté ouest-africaine (CEDEAO), John Kufuor, et du président béninois du Comité de suivi, Albert Tevoedjrè.

Le président Gbagbo a fini par accepter la mise en place d’un gouvernement incluant l’ensemble des parties, dirigé par le Premier ministre Seydou Diarra. Mais à Abidjan ses partisans continuent de tenir des propos menaçants, ce qui incite (ou fournit un prétexte ?) une partie des membres du nouveau gouvernement à pratiquer la politique de la chaise vide.

Le retard dans le fonctionnement effectif des institutions de transition et de compromis sert ceux qui misent sur une dégradation de la situation. Il se confirme que tous les belligérants ont pratiqué des exécutions sommaires, des massacres ont été commis. S’y vérifie la crainte d’un engrenage des vengeances "ethniques".

Aujourd’hui, le plus grand danger se situe à l’Ouest. Le camp présidentiel, mais tout aussi bien les rebelles, y ont favorisé l’intervention de factions des guerres civiles libérienne et sierra-léonaise, espérant les manœuvrer.

Mais "on" ne contrôle pas ces hordes d’enfants-soldats, dont certains sont devenus adultes. "Instruites", déchaînées et renouvelées depuis fin 1989 par le seigneur de la guerre Charles Taylor (avec la complicité de Blaise Compaoré, Muammar Kadhafi, et un segment de la Françafrique). Ces bandes ont été "imitées" depuis par des leaders adverses. Elles multiplient désormais les atrocités dans l’Ouest ivoirien. On y voit parader le sinistre Sam Bockarie, mis en accusation dans son pays, la Sierra Leone, pour « meurtre, viol, extermination, actes de barbarie, esclavage, pillages et incendies, esclavage sexuel, enrôlement forcé d’enfants »…

Les autorités et l’armée françaises, qui assurent promouvoir un projet de paix, de citoyenneté et de démocratie en Côte d’Ivoire, ne pourront plus tenir longtemps un double langage intolérable. Elles ne pourront plus se contenter de dénoncer les crimes (réels) du camp Gbagbo et de ses supplétifs sans dénoncer avec au moins autant de fermeté l’alliance entre les rebelles et les hordes de Taylor, ce seigneur de la guerre qui a soumis son pays par la terreur et ne cesse d’exporter ses méthodes.

Certes, rompre avec Taylor induit des révisions "déchirantes". Le réseau françafricain impliqué depuis treize ans dans les trafics régionaux - bois, diamants ou autres matières premières contre armes et mercenaires, au service de criminels contre l’humanité -, bénéficie manifestement encore de protections conséquentes. Il contribue aujourd’hui à armer la rébellion ivoirienne. Charles Taylor reste persona grata à Paris. La France est son avocat contre les sanctions onusiennes. Jacques Chirac ne se résout pas à se démarquer de ce vieil allié.

Il serait d’autant moins incité à le faire que les États-Unis, depuis longtemps hostiles à Taylor, soutiennent contre le dictateur libérien une rébellion qui ne vaut guère mieux, le LURD. La France doit choisir : ou bien elle perpétue le jeu des alliances inavouables et des coups tordus, elle fait de la sous-CIA dans un contexte de rivalité franco-américaine stérile, au risque de prolonger les souffrances du peuple libérien, de propager une guerre abominable dans l’Ouest ivoirien, et d’induire finalement un soutien de Bush aux va-t’en-guerre du camp Gbagbo ; ou bien elle fait ce qu’elle dit, elle œuvre pour la paix, son armée ne tolère plus les exactions d’aucune des bandes libériennes (elle en a reçu le mandat onusien), sa diplomatie se dissocie de Taylor, criminel hors du commun, et en dénonce les complices…

Lors du sommet France-Afrique, Jacques Chirac n’a-t-il pas stigmatisé « le trafic d’armes, le commerce illicite, le pillage des ressources » ? Le Quai d’Orsay ne dénonce-t-il pas constamment ces fléaux à propos du Congo-Kinshasa (voire même de l’Afrique de l’Ouest) ? À force de déplorer les crimes, il faudra bien finir par dire qui sont les criminels.

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