Survie

Négociations de Marcoussis : une chance, mais un besoin de vigilance

Publié le 17 janvier 2003 (rédigé le 17 janvier 2003) - AIRCRIGE, CADTM, Cimade, Coordination Sud, Réseau Foi et Justice, Survie

Communiqué du Collectif Côte d’Ivoire, prévenir le pire

L’appel Côte d’Ivoire : prévenir le pire a recueilli en décembre les signatures d’un éventail inédit d’associations françaises de solidarité internationale et de défense des droits de l’Homme. C’est le signe d’une attention particulière de la société française sur le sort de ce pays, et d’une vive inquiétude. Nous appelions la communauté internationale, et en particulier la France, à prendre ses responsabilités pour empêcher un déchaînement de violence aussi menaçant qu’imprévisible dans son ampleur.

Nous reconnaissons que les autorités françaises ont jusqu’ici fait ce qu’il convenait de faire : s’interposer (personne d’autre que l’armée française ne le pouvait), faire pression pour une solution politique (la seule issue décente). Nous nous félicitons que ces options aient abouti à un cessez-le-feu généralisé et à la réunion près de Paris, depuis le 15 janvier, de pourparlers réunissant l’exécutif et les principaux partis ivoiriens, ainsi que les trois mouvements rebelles.

Il nous semble cependant qu’un certain nombre de démarches, d’initiatives ou de précautions renforceraient les chances d’aboutir à un processus de pacification de la Côte d’Ivoire.

Tout d’abord, les extrémistes des divers camps attisent l’envie d’en découdre par une propagande vantant leur « légitimité » et leur soif de démocratie. On peut douter en général de la guerre civile comme moyen d’approcher ces objectifs, surtout si l’on se réfère à des expériences africaines récentes (Rwanda, Liberia, Sierra Leone, les deux Congos… ). Dans le cas ivoirien, ces prétentions sont décrédibilisées par la révélation des exactions commises contre les civils et par le caractère inavouable de certaines ressources militaires des belligérants. Les diplomates et les parties en conflit sont souvent partisans d’occulter ce côté sombre de la guerre. C’est ne pas faire justice aux victimes, mais c’est aussi ne pas user d’un moyen de pression souvent efficace sur les bellicistes. En maints conflits récents, des enquêtes internationales sur les crimes commis ou les réseaux criminels de fournitures d’armes ou de mercenaires ont concouru à rabattre les prétentions des plu intransigeants.

C’est pourquoi :

· nous approuvons la demande, par la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme, d’une commission d’enquête internationale sur l’ensemble des exactions commises depuis début 2000. · nous demandons que les Nations unies procèdent, comme pour le Congo-Kinshasa, à une enquête sur l’armement des belligérants et son financement. · nous demandons à la France d’accélérer le vote d’une loi sanctionnant le mercenariat, puisque des mercenaires français se sont trouvés engagés dans une opération militaire suivie d’un massacre.

Si nous approuvons la conduite présente de la France, force est de constater qu’elle est induite par un formidable « échec » : pendant quatre décennies, la France officielle et ses réseaux officieux ont géré les finances et l’armée ivoiriennes. L’image d’un pays en faillite, paupérisé, avec une armée décomposée, doit inciter l’hôte des négociations inter-ivoriennes à être modeste. Il pousse aujourd’hui à un pacte refondateur de la Côte d’Ivoire après avoir longtemps contrecarré l’émergence d’un État démocratique, et avoir ignoré depuis une décennie les signaux de dégradation rapide de ce pays. Il n’est peut-être pas trop tard pour bien faire, mais le passif est lourd.

· Pour cette raison, nous souhaitons que l’accompagnement de la crise ivoirienne soit aussi internationalisé que possible. La France devrait davantage et plus systématiquement impliquer les Nations-unies et les instances africaines.

La société civile française va s’employer de son côté à cette internationalisation, en saisissant entre autres l’opportunité offerte par le Forum social mondial de Porto Alegre. Nous allons de même continuer à favoriser les débats et le dialogue entre les Ivoiriens, tant ceux vivant dans le pays que ceux résidant en France. Et rappeler la détresse d’une part croissante de la population. Nous souhaitons que s’affirme davantage la société civile ivoirienne, pour faire valoir des préoccupations moins liées aux enjeux de pouvoir. Nous soutiendrons ses initiatives et sa recherche en matière de construction de la paix.

Si nous approuvons beaucoup des points mis à l’ordre du jour de la négociation, comme la citoyenneté et le droit foncier, nous redoutons que les réformes constitutionnelles proposées au débat ne soient pas suffisantes : les parties en présence ont pour principal objectif d’obtenir un système électoral leur permettant de s’emparer du pouvoir. Dans le contexte ivoirien, où la partition ethnique a été exacerbée, l’actuel système présidentiel, inspiré de la Ve République française, ne peut qu’aboutir à la désignation d’un chef d’État perçu comme un accapareur potentiel par une majorité de la population. Cela ne pourrait que relancer les frustrations et les antagonismes. Il nous semble très difficile d’espérer une réconciliation sans la remise en cause d’un dispositif constitutionnel calqué sur le modèle français, à l’évidence inadapté à la situation ivoirienne.

Nous continuerons pour notre part à œuvrer pour la paix avec nos partenaires ivoiriens, et à exercer notre vigilance. Pour que la chance offerte par les négociations ouvertes en ce début 2003 ne débouche pas sur de cruelles déceptions.

Signataires : Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme, Aircrige, Antenne Foi et Justice Afrique-Europe de Paris, CADTM-France, Cimade, Coordination Sud, Djembé, Frère des Hommes, Prévention génocides, Ritimo, Survie.

a lire aussi