Dès 2007, Nicolas Sarkozy s’est placé dans la continuité de ses prédécesseurs en soutenant le régime d’Omar Bongo. Un soutien poursuivi, en 2009, avec la caution de l’élection frauduleuse du fils Bongo. Deux ans après, à l’heure des législatives, le pays est dans une impasse alors que s’amplifie la contestation du mouvement ‘Ça suffit comme ça’ et de l’opposition refusant d’aller aux élections.
Le 30 août 2009, Ali Ben Bongo, était déclaré vainqueur de l’élection présidentielle gabonaise après l’annonce des résultats par la Commission Électorale Nationale autonome et Permanente, en grande partie composée de membres du Parti Démocratique Gabonais au pouvoir. Des résultats qui contredisaient toutes les estimations donnant, procès-verbaux à l’appui, Ali Bongo derrière ses deux principaux concurrents. Des PV, faux ou falsifiés, avaient été introduits à la Commission électorale. Dès le lendemain du vote, le secrétaire d’État français à la Coopération, Alain Joyandet, jugeait le scrutin régulier balayant d’un revers de main l’organisation précipitée, les listes électorales gonflées, les multiples violations du droit constitutionnel ou l’énorme déséquilibre financier et médiatique entre les candidats. Un an et demi plus tard, en décembre 2010, la diffusion sur France 2 du documentaire « Françafrique » de Patrick Benquet relançait les accusations de fraudes. Michel de Bonnecorse, ancien Monsieur Afrique de Chirac y avouait : « Nous on a plein d’infos comme quoi Obame a eu 42% et Ali Bongo 37% et que c’était quasiment inversés.. » et son propos était appuyé par l’ancien chef des services secrets français au Gabon : « on a les vrais chiffres, on n’est pas les seuls…même l’agence France Presse locale les a… ».
Depuis son élection frauduleuse, Ali Bongo n’a eu de cesse de se démarquer de son père en s’accordant un droit d’inventaire. Il s’est notamment traduit, au début de son règne, par un très important train de mesures souvent spectaculaires, au point qu’on a cru bon alors de parler de « Tsunali » : chasse aux fonctionnaires fantômes, nominations par centaines, mutations ou limogeages de fonctionnaires et hauts fonctionnaires officiellement sur la base de la compétence et de la rationalisation de la fonction publique, réduction du train de vie de l’État. Le but officiel de ce « big bang » était d’assainir les finances publiques, de rationaliser l’appareil d’État afin de le rendre plus performant et juste.
Mais le premier bilan n’est pas vraiment convaincant. D’abord, en y regardant de plus près, l’opération de nettoyage de l’administration publique a surtout consisté à écarter les personnes soupçonnées d’hostilité envers le nouveau pouvoir et à promouvoir ses affidés - après la perte d’emplois par 450 hauts cadres pour délit d’opinion politique, l’administration gabonaise est envahie par des inaptes. La chasse aux fonctionnaires fantômes a conduit à une augmentation de 15% de la masse salariale de la fonction publique sur la période ! Quant à la rationalisation de l’administration publique, peu de Gabonais peuvent témoigner que cette dernière est plus efficace. Une évidence s’impose donc : aucune amélioration pour ceux-ci d’un point de vue matériel, social ou politique, les clignotants demeurant désespérément au rouge.
Pour verrouiller son pouvoir, Ali Bongo a fait réviser la Constitution de 1991, à peine un an après son arrivée au pouvoir. Une révision qui accroît considérablement les pouvoirs du chef de l’État au détriment du gouvernement et du Parlement au point qu’elle ouvre la voie à une dictature légale. Le droit d’inventaire n’est tout de même pas allé jusqu’à réformer la Cour Constitutionnelle qui souffre d’un grave déficit de légitimité. Sa présidente, Marie-Madeleine Mborantsouo, ancienne concubine d’Omar Bongo et belle-mère de l’actuel chef de l’État, occupe cette fonction en toute illégalité depuis 2005 ; selon l’article 89 de la Constitution, elle aurait dû quitter cette institution depuis cette date. La Cour constitutionnelle est d’ailleurs installée dans un bâtiment qu’elle loue très chèrement à une certaine Mborantsouo Marie-Madeleine !
Tandis que le ministre de l’intérieur, Jean-François Ndongou, a annoncé un renforcement des effectifs des policiers entre 2010 et 2013 de 9 000 hommes, les manifestations populaires sont toujours interdites.
Elèves, étudiants, leaders syndicaux, opposants et journalistes sont continuellement interpellées par les services de renseignement. La liberté syndicale et le droit de grève sont remis en cause par une série de mesures en vue de durcir considérablement le cadre juridique de leur fonctionnement et de leurs actions les rendant de facto quasiment impossibles. S’il y a vraiment une différence entre le père et le fils Bongo, elle porte davantage sur le style. Si le père pouvait faire montre d’un certain charisme et adoptait volontiers une posture paternaliste, le fils est plus rude et moins enclin à la concession. Le père était passé expert dans l’art de manière le bâton et la carotte, tandis que le fils est plus intraitable, sans concession avec l’opposition, pour laquelle cette arrogance est d’autant plus insupportable qu’elle ne reconnaît pas sa légitimité.
A l’international, Ali Bongo tente de se démarquer de son père diversifiant ses partenaires, notamment en Asie (mouvement déjà largement initié dans la dernière partie du règne de son père) mais cette plus grande ouverture ne doit pas faire croire à une prise de distance vis-à-vis de la France : celle-ci reste centrale sur les points stratégiques (militaire, ressources minières et hydrocarbures). Il faudra encore patienter avant d’entendre du Gabon une voix différente de celle de la France sur la scène diplomatique internationale : ces deux dernières années, le Gabon a toujours voté au Conseil de sécurité de l’ONU dans le même sens que le France, y compris lorsqu’il s’est agi de mener la guerre contre un ami de la famille Bongo comme le colonel Kadhafi.
Aujourd’hui, pour rendre crédible des élections législatives boycottées par une grande partie de l’opposition et la société civile gabonaise, Ali Bongo se sert de l’argent public pour s’offrir de pseudos opposants. Mieux : le Trésor public gabonais a dépensé près de 2.286.000 euros pour financer une campagne de médisance à son encontre ! Des micro-partis, sans assise réelle, jusque récemment membres de la majorité présidentielle se sont subitement transformés en partis d’opposition. Aux yeux des démocrates gabonais résolument engagés pour sortir de la dictature, le scrutin qui se prépare n’a aucune valeur. La stratégie du boycott en l’absence de garanties de transparence a rassemblé de manière presque consensuelle les uns et les autres, et isole le régime, empêtré dans ses manœuvres pour faire illusion. Dans ces conditions, on comprend mal que les bailleurs de fonds et les grandes puissances ne soutiennent pas davantage les démocrates gabonais dans un contexte international propice aux changements démocratiques. Cela à du moins le mérite de révéler leur cynisme, leur double langage et leur opportunisme.
Pour la diplomatie française, le soutien, même implicite, du pouvoir gabonais dans l’organisation de ces élections sans valeur ou son silence face aux efforts des mouvements démocratiques de la société civile et de l’opposition politique se comprendrait comme la continuité d’une politique françafricaine. Mais a-t-elle le choix tant le passif franco-gabonais fait de corruption, rétrocommissions pétrolières et autres financements occultes permet sans nul doute à Ali Bongo d’user d’arguments de poids pour obtenir tout le soutien nécessaire ?
Des petits et des grands secrets entre amis qui auront pour effet de remiser au fond d’un tiroir élyséen les résolutions de Nicolas Sarkozy prises devant la Conférence des ambassadeurs le 31 août dernier si tant est qu’elles soient sérieuses : « Ce qui est nouveau, après des décennies pendant lesquelles la stabilité des régimes en place primait, à l’Est comme au Sud de l’Europe, c’est la volonté de la France d’accompagner avec détermination le mouvement des peuples vers la démocratie. »