Survie

Gabon : la répression contre les manifestants continue

Arrêtés pour avoir dénoncé la gabegie d’Ali Bongo

Publié le 13 juin 2012 - Grégory Ngbwa Mintsa

Nous relayons l’article de Grégory Ngbwa Mintsa, porte-parole des Indignés du Gabon, sur les violences policières et arrestations qui ont eu lieu pour empêcher la tenue d’un contre-Forum, soutenu par Survie, organisé en réponse au New York Africa Forum.

Le 8 juin, les forces de l’ordre ont appréhendé de nombreux manifestants regroupés au sein d’une coalition, le Front des Indignés du Gabon. Ils voulaient organiser un contre forum, en marge du New York Africa Forum organisé par le franco-marocain Richard Attias, malgré l’interdiction du ministre de l’Intérieur.

42 activistes ont été conduits à la base des Forces de Police d’Intervention, et d’autres à l’Unité Spéciale d’Intervention où ils ont subi menaces, injures et brutalités. Grégory Ngbwa Mintsa, Prix de l’Intégrité Transparence International 2009-2010, porte-parole du front affirme que les Indignés ont délibérément décidé de tenir leur forum, malgré l’interdiction du gouvernement, « car notre autorisation est constitutionnelle : les libertés d’opinion, d’expression et d’association sont inaliénables et nous ne supportons plus qu’un citoyen comme nous les aliène, soit-il ministre ou président de la République. »

Les Indignés du Gabon affirment avoir saisi l’occasion de « cette grande opération de communication d’Ali Bongo et de Richard Attias qui nous fait l’outrage d’affirmer que le Gabon est un business model ». Le scepticisme des Indignés du Gabon repose notamment sur la crédibilité de ce forum organisé entre les dirigeants et les hommes d’affaires, à l’exclusion des peuples, sachant que leur Président est concerné dans l’affaire des Biens Mal Acquis et qu’une enquête du Sénat américain a mis à jour de nombreuses opérations de blanchiment d’argent par le défunt Omar Bongo, son successeur et fils et des membres de leur famille. « Le Gabon, qui est un pays riche, n’aurait pas besoin d’investisseurs si l’argent de l’État restait dans les caisses de l’État », assure le porte-parole qui se dit révolté par le fait que l’ « on invite des "people" à venir réfléchir sur le Gabon et l’Afrique alors que nos aspirations les plus légitimes, la vision de notre pays et de son destin ne trouvent de réponses que policières. D’ailleurs, je défie quiconque de montrer une de ces grands messes sur l’avenir de l’Afrique qui ait abouti à quelque chose. Ce n’est pas à la faveur d’une conférence que la dynastie "patrimonicide" gabonaise va devenir exemplaire. Il ne suffit pas que le grand capital roule nos rois nègres dans la farine pour qu’ils soient blanchis. »

Le Gabon connaît de nombreuses tensions sociales depuis la prise de pouvoir par Ali Bongo. Dans un climat ultra-sécuritaire, des étudiants en grève depuis des mois sont régulièrement gardés à vue, voire déférés à la prison centrale de Libreville. La presse indépendante est suspendue à chaque article déplaisant. La moindre suspicion de contestation est sanctionnée par une révocation ou une suppression de salaire. Les Gabonais acceptent d’autant moins les suppressions de bourses et de salaires quand :

  • la présidente de la Cour Constitutionnelle est propriétaire de l’immeuble que loue l’institution qu’elle dirige pour 4 millions CFA (8 000 US $) par mois,
  • le président de l’Assemblée nationale a géré un budget de 10 milliards CFA ( 50 millions US $) entre 2008 et 2011 pour la construction d’un bâtiment dont on n’a pas encore donné les premiers coups de pioches,
  • le président Ali Bongo se déplace quotidiennement en Bentley,
  • son épouse et des membres de sa famille dépensent individuellement, en moyenne, 1 million d’euros en bijoux et haute couture.

Dans de nombreuses écoles, dans des classes contenant jusqu’à cent élèves dont la plupart sont assis par terre, aucune nouvelle salle de classe n’a été construite depuis son accession au pouvoir, en 2009.

Annexe : Lettre Ouverte des Indignés du Gabon aux illustres invités au New York Forum Africa

Fait à Libreville, le 28 mai 20012

Lettre Ouverte des Indignés du Gabon aux illustres invités au New York Forum Africa

Mesdames et Messieurs,

Reconnus pour votre génie, pour l’éthique que vous défendez au point de les incarner, pour votre engagement, pour vos efforts et vos sacrifices en vue de mettre en application des valeurs pour laisser à la postérité un monde meilleur, vous avez été invités à participer au New York Forum Africa. Selon Richard Attias, l’organisateur de ce forum, « Le Gabon a un business model unique et que je pense sincèrement gagnant. Sa stabilité politique et économique en fait une terre d’accueil idéale. »

Mesdames et Messieurs,

Ce business model unique, les Gabonais n’en veulent plus. Le prétexte de la Guerre froide pour maintenir des rois nègres au pouvoir afin d’assurer la « stabilité » pour les réseaux d’affairistes n’est plus d’actualité. Ne sont également plus de notre temps l’esprit et la lettre de la récente réforme constitutionnelle qui renforce les pouvoirs du président d’un état militaro-policier en lui octroyant l’exclusivité des prérogatives en matière de sécurité et de défense, et, par conséquent, la souveraineté absolue dans la définition du concept éculé de « trouble de l’ordre public » ou de « respect des institutions ». Ainsi, depuis l’accession d’Ali Bongo au pouvoir, les marches pacifiques sont interdites, car elles troublent l’ordre public ; la presse indépendante et toute forme de contestation sont régulièrement sanctionnées pour tentative de déstabilisation de l’État. Lorsque, par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes est classé top secret dans notre dernier bastion de la Françafrique, le doute n’est plus permis sur la nature de cet État. Ce modèle économique, les Gabonais n’en veulent pas.

Depuis plus de cinquante ans, les organismes et la communauté internationaux protègent un clan "patrimonicide", contre les intérêts du peuple gabonais. C’est pourquoi, des patriotes issus de tous les corps sociaux se sont rassemblés au sein du Front des Indignés, afin de se réapproprier leur souveraineté et faire valoir leur aspiration à jouir de leurs droits et libertés fondamentaux. Cette revendication, nous sommes déterminés à l’exprimer en marge de l’opération de communication que sera le New York Forum Africa.

Lorsque les forces de répression et de coercition nous frapperont, de quel côté serez-vous ? Du côté de la famille qui dirige notre pays depuis 45 ans, au point de considérer que l’État, c’est elle, ou du côté de ceux qui aspirent à un État démocratique, avec la faiblesse de croire que l’alternance au pouvoir en est un élément fondamental en ce qu’elle renouvelle les idées en évitant de "patrimoniser" le bien public et de le léguer en héritage à des successeurs désignés ?

De quel côté serez-vous ? Serez-vous du côté du Président de l’Assemblée Nationale qui ne peut justifier les plus de 10 milliards de Francs (20 millions de US $) d’argent public dépensés pour la construction de l’annexe de l’Assemblée nationale dont il n’y a de trace nulle part ou serez-vous du côté de l’étudiant sorti de prison pour avoir revendiqué la construction de salles de cours, la dotation en matériel didactique et pour avoir protesté contre la limite d’âge des bourses d’État en plein milieu d’année ? Qui soutiendrez-vous ? Les forces spéciales anti-terroristes ou leur cible du corps médical coupable de revendiquer de meilleurs équipements pour soigner les malades qui meurent quotidiennement, sous leurs yeux, de maladies bénignes, alors que les dirigeants politiques se donnent les moyens d’aller se soigner à l’étranger, leur cynisme les poussant à préférer mourir à grand frais dans de prestigieux hôpitaux à l’étranger que dans les mouroirs plébéiens des centres de santé publics ?

De quel côté serez-vous ? Serez-vous avec les forces spéciales d’intervention ou avec les centaines de fonctionnaires dont les salaires sont supprimés depuis des années pour délit d’opinion ?

De quel côté serez-vous ? Serez-vous avec l’oligarchie qui, depuis des mois, pour blanchir l’argent détourné qui devait servir à alimenter les quartiers de Libreville en eau, exproprie les pauvres citoyens de leur terre pour bâtir leur empire immobilier, ou du coté de ceux qui se battent au prix de leur vie pour défendre la terre de leurs ancêtres ?

De quel côté serez-vous ? Serez-vous Accepteriez-vous aux côtés de ceux qui transforment les terres agricoles des pauvres paysans en plantations d’hévéa et de palmier à huile ou au côté des paysans qui revendiquent le droit à la terre ? Cet énième forum, véritable opération de communication d’un pouvoir oppressif, coûtera encore aux contribuables gabonais des sommes faramineuses qui auraient pu servir à améliorer les infrastructures de l’université de Libreville. Serez-vous dans le camp des gendarmes qui violent régulièrement les franchises universitaires pour y effectuer des ratonnades ou du côté des étudiants, déterminés à aller jusqu’au bout de leurs revendications légitimes ?

Les intellectuels que vous êtes défendront-ils des causes ou leurs honoraires ? Mesdames et Messieurs les économistes, défendrez-vous les affaires conditionnées pour une stabilité par la matraque ou défendrez-vous le respect des droits de notre peuple, gage d’une stabilité durable et sereine ? Les Nobel défendront-ils une éthique ou légitimeront-ils un pouvoir corrompu poursuivi, en France dans l’Affaire des Bien Mal Acquis et dont une enquête du Sénat des États-Unis a clairement mis à jour les activités de blanchiment d’argent ?

Votre notoriété a fait de vous des modèles pour l’humanité. Libre à vous de brouiller cette prestigieuse image en affichant une proximité avec des régimes dictatoriaux.

Contact presse : Porte Parole du Front des Indignés Gregory NGBWA MINTSA : +241 06246157 gngbwamintsa(a)yahoo.fr

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