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Kanaky - Nouvelle Calédonie : 165 ans de « possession »

Publié le 8 décembre 2018 - Survie

Le 24 septembre 1853, la France prend possession de la Nouvelle-Calédonie, nommée ainsi par James Cook en 1774, et la proclame colonie française. 165 ans après, Kanaky - Nouvelle-Calédonie est toujours une colonie.

Officiellement, elle reste une colonie jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le peuple et la terre Kanak connaissent une trajectoire commune à celle des autres territoires occupés par la France : l’invasion militaire, lorsque la flotte française s’empare de la Nouvelle-Calédonie en 1853 ; les programmes de peuplement par des colons, d’abord des bagnards puis des colons libres ; l’accaparement des terres et des ressources, quand l’État français se proclame propriétaire de la majorité des terres et cantonne les Kanak dans des réserves ; le code de l’indigénat à partir de 1887, qui dépossède les Kanak de leurs droits, de leur culture, de leurs terres ; mais aussi la violence et les massacres, notamment en répression des révoltes kanak successives (en particulier la grande révolte menée par le chef Ataï en 1878, la révolte de 1917 et les « événements » des années 1980).

Alors que dans les années 1950 et 1960, la plupart des territoires colonisés dans le monde accèdent à une forme d’indépendance, réelle ou confisquée, la Nouvelle-Calédonie reçoit un statut de Territoire d’Outre-mer en 1946 puis de "Collectivité sui generis" en 1999. Un tour de passe-passe visant à faire croire que rayer le terme "colonie" du droit français, pour le remplacer par "territoire" ou "collectivité", suffirait à masquer la continuité de la domination coloniale sur le peuple colonisé.

Car si elle n’en a plus le nom, la Nouvelle-Calédonie conserve toutes les caractéristiques de la colonie. L’armée française y possède toujours une base militaire pour contribuer à "l’exercice de la souveraineté française". Le Code de l’indigénat y est définitivement aboli en 1946 mais les Kanak y sont toujours victimes de racisme et largement discriminés, en témoignent les statistiques : le taux de pauvreté dans la province Nord et les îles Loyauté peuplées en majorité par des Kanak est 4 à 6 fois supérieur à celui de la province Sud majoritairement blanche, le taux de chômage atteint 18,6% chez les Kanak en 2017 et 32% des Kanak n’ont pas de diplôme, 90% des détenus sont Kanak dans l’unique prison de Nouvelle-Calédonie où le taux d’occupation dépasse les 200%. Une deuxième vague conséquente de peuplement est lancée dans les années 70, encourageant une "immigration massive de citoyens français métropolitains", avec pour intention et pour résultat de mettre les Kanak en minorité sur leur propre territoire. Même si, depuis 1988, certaines terres ont été reversées dans le domaine coutumier, les terres kanak ne représentent actuellement que 19% de l’ensemble des terres. La structure économique reste coloniale : exploitation et exportation des matières premières, concentration foncière, industrielle et commerciale dans les mains de quelques familles descendantes de colons. Et encore et toujours, la violence étatique en réponse à l’insurrection du peuple colonisé : l’assassinat d’Eloi Machoro en 1984, les crimes commis à Ouvéa en 1988.

En 1988 grâce à la lutte indépendantiste s’engage enfin un processus de décolonisation, formalisé dans les accords de Matignon-Oudinot, signés entre certains partis politiques kanak, la droite coloniale dite "loyaliste" et l’Etat français. D’abord d’une durée prévue de 10 ans, ce processus est prolongé de 20 ans lors des accords de Nouméa, avec l’engagement d’organiser un premier référendum d’auto-détermination d’ici la fin 2018 ; il a eu lieu le 4 novembre 2018. Au cours des 30 dernières années, l’Etat est parvenu à se positionner aux yeux des acteurs politiques et médiatiques français tel un arbitre entre indépendantistes et non-indépendantistes et tel le garant de la loi et du droit, dans un processus complexe de transfert de compétences, faisant oublier qu’il n’était en aucun cas neutre dans ce processus. Car en tant que puissance coloniale, la France a des intérêts à préserver en Nouvelle-Calédonie : intérêts économiques (mines de nickel, zone économique exclusive), intérêts militaires (base militaire permanente), intérêts stratégiques (une présence dans le Pacifique sud).

Et ce sont ces intérêts qui font craindre une issue françafricaine au processus de décolonisation. La France cherchera vraisemblablement à garder une mainmise sur Kanaky comme elle l’a fait dans ses autres colonies, grâce à des méthodes françafricaines largement testées et validées. Accord de défense, accords de coopération économique, culturelle, universitaire, maintien d’une monnaie contrôlée par la France à l’image du franc CFA, ingérence dans la vie politique locale, autant de moyens de faire perdurer la tutelle française même en cas d’évolution de la forme coloniale.

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