Survie

Lettre ouverte à M. Pietro Veglio, Executive Director, Banque Mondiale

Publié le 26 mai 2003 - François-Xavier Verschave

M. Pietro Veglio

Executive Director

World Bank

Monsieur,

Nous avons été informés que des actes graves commis dans le Sud du Tchad - notamment dans le Logone Oriental - menacent la paix civile dans cette région. Leur contexte est étroitement lié aux activités illégales des autorités locales, tolérées par le régime au pouvoir à N’Djaména dont elles sont proches.

Selon nos informations, les autorités locales (Sous-préfets, Préfets..) procèdent à (ou protègent) des expropriations abusives destinées au profit personnel de leurs auteurs. Il s’agit de véritables dépossessions illégales de terres ou de terrains dont ces personnes s’attribuent la propriété afin de les revendre.

Certains spoliés ayant élevé des protestations ont été victimes d’arrestations arbitraires et seraient toujours détenus. Il s’agit notamment de Timothée Mbaïlasem, Peurtoloum Ngarsadjm, et de Grégoire Ngar-Adnan. Nous apprenons sans étonnement que ces derniers sont des militants d’une formation politique de l’opposition légalement constituée.

Le député fédéraliste Ngarlejy Yorongar, élu de Moundou, a saisi M. Yoma-Golong Roupangtang, le Ministre tchadien de l’intérieur, de la question de ces procédures abusives. Ce dernier aurait averti le Préfet de Nya-Pendé, en présence du Gouverneur du Logone Oriental, de sa décision : suspendre les expropriations en cours et, plus généralement, mettre fin à de telles pratiques. Cette intervention, qu’elle ait été ou non destinée à produire effet, n’en a eu aucun.

La situation décrite ci-dessus - comme bien d’autres abus - est liée à "l’or noir" qui aiguise l’appétit des détenteurs d’un pouvoir manifestement insensible à l’intérêt collectif. Elle découle de l’ambition de quelques uns d’en accaparer les bénéfices au détriment des besoins élémentaires des populations tchadiennes.

Le Groupe International Consultatif (GIC) de la Banque Mondiale l’a lui même révélé dès 2001, dans ses principales préoccupations quant à l’évolution de la situation au Tchad : « la progression à "deux vitesses" entre le consortium d’une part et les administrations publiques et la société civile de l’autre, et le décalage entre leurs capacités ; le risque de créer une enclave industrielle détachée des réalités politiques et sociales ; l’importance de sécuriser les populations quant aux impacts du projet et dans leurs relations avec les administrations publiques… ». Autrement dit, le pétrole ne coule pas pour le bien-être des Tchadiens, pour le renforcement de leurs capacités (volet scandaleusement négligé du projet), notamment en termes de maîtrise de la construction d’un Etat de droit dans une société solidaire. Il coule pour des intérêts de sociétés occidentales liées au projet et pour des prédateurs tchadiens sur lesquels on ferme les yeux.

Cette situation - qu’avec bien d’autres nous craignions dès l’annonce par la Banque Mondiale de la construction de l’oléoduc Tchad-Cameroun - perdure depuis l’amorce du projet. Rien n’est venu corriger sa progression. Les conditions de vie des Tchadiens empirent d’année en année. Le désastre dont ils sont victimes requiert une volonté ferme et courageuse de prendre fait et cause en leur faveur, la fin du silence sur les pratiques de ceux qui les oppriment.

Nous comptons sur vous pour vous saisir de ce dossier et pour prendre toute mesure susceptible de mettre la réalité tchadienne en pleine lumière, en vue d’obtenir la réforme drastique qu’elle exige.

Dans cette attente, je vous prie de recevoir, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

Le Président,
François-Xavier Verschave

cc : Monsieur Yoma-Golong Roupangtang, Ministre de l’intérieur du Tchad ; Monsieur Abderahman Moussa, Ministre de la sécurité publique du Tchad.

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