Survie

L’Envers de la dette

Criminalité politique et économique au Congo-Brazza et en Angola

Publié le 18 janvier 2002 - François-Xavier Verschave

« Il ne manque pas d’ouvrages sur le pétrole, sur la dette, sur les trafics d’armes, sur les guerres au Congo-Brazzaville et en Angola, avec leurs cortèges d’horreurs et de destructions. Il manquait de tisser ensemble ces divers éléments. C’est l’objet de ce “Dossier noir”. Le brassage continu de l’or noir et de “l’argent noir”, du pétrole offshore (au large) et des capitaux offshore (dans les paradis fiscaux), des spéculations inavouables sur le pétrole, la dette et les fournitures de guerre dessine alors un paysage où criminalités économique et politique entrent en synergie. Il devient évident qu’un certain nombre d’acteurs, les plus conscients, participent à un “groupe criminel organisé”, au sens où le définit la future Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme. Ils n’ont pas conscience, en revanche, que peut leur être collée cette étiquette, car ils évoluent depuis trop longtemps dans les espaces sans loi, les no man’s land déshumanisants d’une mondialisation dérégulée, avec la quasi-assurance de l’impunité.

Ce dossier voudrait aider à une prise de conscience, de la part notamment des victimes et des ingénieurs de ces machines à piller, à ruiner, à broyer. Les victimes découvriront que ces mécaniques ne sont pas si lointaines que ça, incompréhensibles, anonymes, insaisissables : les flux mortifères impliquent des personnes et des sociétés précises, l’argent passe inévitablement par des comptes archivés, dans des banques “honorables”. La dette apparaît comme une “double peine”, s’ajoutant à tous les malheurs et préjudices qu’infligent à la population la razzia, l’extorsion, l’exploitation inique de ses matières premières. Décrire les articulations de ces dispositifs ne permet pas seulement d’illustrer leur caractère moralement insoutenable : cela multiplie les motifs d’incrimination. Manifestement, la quasi-totalité des contrats sous-jacents sont illégitimes, illégaux, peuvent être frappés de nullité et donner lieu à réparations. Les victimes peuvent demander beaucoup mieux que l’effacement charitable de leurs dettes : elles peuvent exiger d’être rétablies dans leurs droits. Une bataille juridique qui est aussi politique, puisqu’elle contribuera à asseoir un nouveau droit international.

Les désagréments subis par Pierre Falcone (présumé innocent) à l’occasion de l’“Angolagate” ont sans doute inquiété les trop habiles profiteurs des opportunités d’un “monde sans loi” : le temps des incriminations a commencé. Leur impudence a été trop loin, la logique de leurs jeux cyniques et pervers est peu à peu mise au jour. Ils ne pourront plus empêcher que les juges et les mouvements de citoyens, au Nord comme au Sud, interfèrent dans leurs trafics. Alors, ils feraient mieux de se reconvertir dans du business plus légal : il y a des manières bénéfiques de gagner de l’argent, des jeux commerciaux à somme positive, des utilisations intelligentes de la “rente” des matières premières. S’ils investissaient là leur ingénierie, ils mériteraient peut-être un jour la reconnaissance générale, au lieu de mandats d’arrêt internationaux.

Deux mots encore, sur les services secrets et les banques. La dimension financière de l’activité des premiers a été jusqu’ici sous-estimée ; ils sont omniprésents derrière les événements que nous allons décrire, avec des moyens parallèles qui leur permettent d’échapper de plus en plus au contrôle démocratique – une “dérégulation” vraiment problématique. Quant aux grandes banques commerciales, il s’avère qu’elles n’ont pas su résister aux tentations de l’argent facile, même s’il favorise le pire : elles devraient prendre conscience que tôt ou tard leur image, et donc leur crédit, pourraient gravement en pâtir. »

NB : ce dossier noir est épuisé, mais peut être consulté librement sur le site de l’éditeur, en version Lyberagone

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