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Arcanes et rouages de la coopération militaire : Liens et noeuds : les accords

Publié le 12 novembre 1996

La coopération militaire recouvre deux notions distinctes : l’assistance militaire technique et les accords de Défense.

L’ASSISTANCE MILITAIRE TECHNIQUE, théoriquement non liée politiquement, et qui ne préjuge pas d’accords complémentaires pouvant consacrer des options communes aux deux parties. Le ministère de la Coopération, et plus spécialement la MMC, est normalement le premier interlocuteur des pays africains en la matière. Mais les compétences sont de plus en plus fractionnées, avec la montée en puissance de Matignon (Secrétariat général de la Défense Nationale), due aux périodes de cohabitation. Ce poste représente près d’un milliard de francs par an, avec 880 coopérants militaires.

Les 23 pays qui ont signé des accords de coopération militaire avec la France sont : le Bénin, le Burkina, le Burundi, le Cameroun, la Centrafrique, les Comores, le Congo, la Côte d’Ivoire, Djibouti, le Gabon, la Guinée équatoriale, la Guinée, Madagascar, le Mali, Maurice, la Mauritanie, le Niger, le Rwanda, le Sénégal, les Seychelles, le Tchad, le Togo et le Zaïre.

Certains accords datent du lendemain des indépendances, tandis que d’autres ont été établis après une rupture des relations avec la France, comme en Guinée, à Madagascar ou au Congo. D’autres pays récemment entrés dans le " champ " de la Coopération demandent à en bénéficier, comme l’Angola et le Mozambique.

Des actions ponctuelles de coopération militaire peuvent d’autre part être décidées en dehors d’accords globaux. C’est le cas en Haïti, où la France a proposé 20 millions de francs pour former et transformer une force de " police " locale (de 3 500 hommes) en une gendarmerie.

LES ACCORDS DE DEFENSE, qui créent entre les deux Etats concernés des liens très étroits. Plus qu’une alliance militaire, ils vont de pair avec une certaine harmonisation de la vie diplomatique et même avec l’existence d’institutions politiques communes (4). Troupes prépositionnées, matériel, et institutions conjointes sont financés et administrés par le ministère de la Défense.

La France a des accords de Défense avec huit pays : Côte d’Ivoire, Centrafrique, Djibouti, Gabon, Sénégal, Cameroun, Comores, Togo. Des forces prépositionnées permanentes sont présentes dans les cinq premiers. Il faut souligner que, dans les accords, le concept de défense est entendu dans sa double acception : interne et externe. Cela explique certaines incursions relevant strictement de la stabilité intérieure. Les clauses par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations de maintien de l’ordre si un Etat lui en a adressé la demande restent secrètes. Elles ne sont pas publiées au Journal Officiel.

Ces accords mènent l’engagement français bien au-delà de la simple assistance militaire. Ainsi, " la République gabonaise a la responsabilité de sa défense intérieure, mais elle peut demander à la République française une aide dans les conditions définies par les accords spéciaux (5)" (secrets). Lors des émeutes de Libreville et Port-Gentil, la France a donc pu légalement intervenir sous le prétexte de protéger ses ressortissants. L’accord de Défense autorise aussi l’armée française à utiliser les infrastructures gabonaises, à faire usage des balisages nécessaires sur le territoire et dans les eaux territoriales de la République gabonaise, les postes et télécommunications locaux..., etc. L’armée française est pour ainsi dire chez elle au Gabon - comme dans tous les pays avec lesquels elle a des accords de Défense. Moyennant quelles contreparties ? Les textes n’en parlent guère, mais on les imagine à l’usage. Cette perméabilité favorise en tout cas, pour le moins, une osmose politico-économico-militaire...

Autres exemples : le gouvernement malgache peut " faire appel au gouvernement de la République française pour l’entretien et les fournitures de matériels et d’équipements (6)" ; l’accord de Défense avec le Togo prévoit une " assistance militaire technique fournie par le gouvernement français pour la formation en France de personnel des forces armées togolaises " et des " facilités de transit et d’escale (7)" pour les forces armées françaises. Ces énoncés laconiques prennent bien sûr un relief particulier quand on observe les agissements de ces forces armées togolaises face aux manifestations de rue. L’Etat français oublierait-il de former les recrues togolaises à l’Etat de droit ?

Outre ces accords de Défense et d’assistance militaire, il existe des conventions particulières secrètes (non publiées au Journal officiel), par lesquelles la France peut accepter de participer à des opérations de maintien de l’ordre si un Etat lui en fait la demande. Mais ces clauses deviennent très encombrantes pour Paris, car un régime autoritaire peut être menacé sans qu’il soit possible - décemment -, pour la France, de le protéger ouvertement des revendications populaires. Ainsi, en juin 1990, la France n’a pas donné suite à une demande d’intervention de ce type de feu Félix Houphouët-Boigny. Mais rien ne dit qu’elle n’a pas répondu de façon plus détournée, pour ne pas se compromettre sans contrarier " Le Vieux ".


4. La politique militaire de la France en Afrique, Pascal Chaigneau, La Documentation française, 1984.

5. J.O. du 21 novembre 1960.

6. J.O. du 25 avril 1979.

7. J.O. 21 avril 1978.

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