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Arcanes et rouages de la coopération militaire : Bases et moyens

Publié le 12 novembre 1996

LES BASES MILITAIRES en Afrique sont établies dans cinq de ces pays bénéficiaires d’accords de Défense : Côte d’Ivoire, Centrafrique, Djibouti, Gabon, Sénégal. La base la plus importante est celle de Djibouti, avec plus de 4 000 hommes (en comptant les administratifs). En tout, Paris entretient environ 10 000 hommes en permanence sur le continent africain, sans compter les forces temporaires, comme au Tchad ou récemment au Rwanda, qui ont considérablement diminué d’importance, si l’on considère les 58 500 soldats qui les occupaient dans les années soixante. Mais l’engagement français s’est plutôt modifié qu’amoindri. En effet, avec la création de la Force d’action rapide en 1983, trois divisions sont spécialisées sur l’Outre-mer, ce qui garantit une rapidité d’action et une efficacité nouvelle pour la France, surtout en combinaison avec les bases qui entretiennent l’infrastructure nécessaire à toute action militaire.

Quant au contenu, l’assistance militaire française se décline en trois volets (8) :

AIDE DIRECTE EN MATERIEL (environ 38 % du volume global de l’aide), finançant l’achat et l’entretien de matériel et d’équipements militaires. Après quelques tentatives d’exercer cette assistance à titre onéreux, le bureau logistique y a renoncé. Les équipements et fournitures sont procurés sans aucune contrepartie financière des Etats bénéficiaires. Le Tchad et le Sénégal sont les deux gros bénéficiaires de ce type d’aide, censé répondre aux besoins spécifiques des pays et partant donc de leurs propres commandes.

ASSISTANCE EN PERSONNEL (environ 50 % des dépenses globales de la MMC). On compte environ un millier de coopérants militaires dans les 23 pays concernés par les accords avec la France (880 en 1994). Ce n’est qu’une maigre survivance des effectifs en poste dans les colonies, ou immédiatement après les indépendances (2 500 hommes en 1962). Ce millier d’assistants militaires techniques viennent des trois armes, de la gendarmerie et des services de santé de l’armée, avec cependant une nette prédominance de l’armée de terre et de la marine. Ces personnels portent l’uniforme des armées nationales auxquels ils sont rattachés, tout en dépendant hiérarchiquement du général, chef de la mission d’assistance militaire près l’Ambassade de France de chacun des pays concernés. Ils exercent en général des responsabilités à un niveau très élevé. En son temps, le Zaïre était très demandeur de ce genre de personnel. Le Gabon et Djibouti aussi, et, dans une moindre mesure, la Côte d’Ivoire et la Mauritanie.

FORMATION DES CADRES MILITAIRES AFRICAINS (qui absorbe environ 12 % du budget de la MMC). Considéré comme prioritaire, ce secteur se heurte à la limitation des places disponibles dans les écoles françaises, mais aussi au coût très élevé de certaines spécialités (notamment dans l’aéronautique). La Mission militaire de coopération accueille en moyenne 2 000 stagiaires par an, mais les demandes sont dix fois plus élevées. Les écoles militaires inter-africaines sont destinées à élargir les possibilités de répondre à toutes ces demandes. Elles sont implantées en Côte d’Ivoire, au Togo, au Zaïre et au Sénégal.

La France envisage d’ouvrir d’autres écoles de formation militaire que les quatre existantes, de renforcer et de créer de nouvelles forces de gendarmerie, tout en essayant de réduire les effectifs pléthoriques des armées africaines. Ce dernier effort n’est pas seulement une réponse à l’incitation du Fonds monétaire international, qui veut réduire les budgets de fonctionnement d’Etats en faillite : les " demi-soldes " ou les soldats non payés constituent en effet le premier danger pour la population qu’ils rackettent, et le premier risque de trouble de l’ordre public...

L’action de la Mission militaire de coopération revêt une importance d’autant plus forte qu’un tiers environ des Etats bénéficiaires de l’assistance militaire sont eux-mêmes des régimes militaires. Des rapports privilégiés existent fréquemment entre le général chef de la mission militaire de coopération sur place et les chefs d’Etat, souvent formés dans des écoles militaires françaises...

L’importance stratégique que la France accorde officiellement (9) aux différents pays " du champ " peut se lire à travers les budgets d’assistance qu’elle leur accorde :

Centrafrique : 139 MF

Gabon : 138 MF

Tchad : 128 MF

Côte d’Ivoire : 116,2 MF

Mauritanie : 102 MF

Niger : 101,2 MF

Cameroun : 98,5 MF

Djibouti : 91,4 MF

Sénégal : 87,7 MF

Rwanda : 82,8 MF

Comores : 54 MF

Burundi : 51,5 MF

Togo : 12,5 MF

(Chiffres de 1993)

Les effectifs stationnés sont eux aussi explicites :

Djibouti :

3 880 hommes + chars, blindés, hélicoptères, avions de chasse, patrouilleur, avion-cargo de transport.

Sénégal :

1 470 hommes + automitrailleuses légères, hélicoptères, avion-cargo, avion de patrouille.

Centrafrique :

1 340 hommes + automitrailleuses légères, hélicoptères.

Tchad :

800 hommes + hélicoptères, avions de chasse, avion-cargo, automitrailleuses, chars, blindés.

Côte d’Ivoire :

710 hommes + une centaine de conseillers militaires auprès du régime d’Abidjan + blindés et véhicules légers.

Gabon :

650 hommes + une centaine d’instructeurs (encadrant aussi la garde présidentielle et se chargeant des services de " contre-ingérence " + engins blindés, avions de chasse, transport, ravitaillement.

Nul doute que ces troupes ne sont pas en Afrique pour des parades humanitaires. Bruno Delaye, responsable de la cellule africaine de l’Elysée de 1992 au début 1995, le reconnaît : " A quoi servirait de maintenir une force de 10 000 hommes en Afrique si c’est seulement pour évacuer nos ressortissants ? "


8. Marc Mertillo, article cité.

9. Cette échelle devrait d’abord être corrigée de la différence - considérable, on l’a vu - entre prévisions et réalisations budgétaires. Il faut tenir compte aussi des fossés entre l’officiel et l’officieux, avec les circuits parallèles de fournitures d’armes et de personnels (cf. Rwanda, Togo, Zaïre,... ).

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