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Dérives : Conclusion : La coopération militaire française doit passer son conseil de révision

Publié le 12 novembre 1996

Au vu des dérives de la coopération militaire franco-africaine, la question de la suppression de ce type de coopération pourrait se poser, ou au moins celle de ses outils les plus visibles comme les bases permanentes.

Mais cette question débouche vite sur une autre : la coopération militaire française, en se retirant ou en voulant respecter certains principes, ne laisserait-elle pas la place à d’autres, qui en profiteraient pour grignoter la chasse gardée de la France ? Déjà, devant le refus français de financer une garde présidentielle " loyale " au président congolais Lissouba, c’est Israël qui a accepté de former cette milice. Au prix fort : 49 millions de dollars pour cinq anciens agents du Mossad (109). De plus en plus d’Etats africains créent des liens avec Israël, d’Idriss Deby (Tchad), menacé par son voisin arabe du Nord, au Cameroun, au Zaïre, au Gabon, en passant par les pays sahéliens à dominante musulmane, comme le Sénégal, le Niger, la Mauritanie, voire même le Soudan ! Il convient de noter cependant qu’à part Israël (et parfois la Chine), aucun pays ne se précipite pour appuyer militairement ces régimes. Faut-il comprendre cela comme un lâchage de l’Afrique ? N’est-ce pas aussi que ces régimes sont indéfendables ? Le lâchage de l’Afrique affecte d’ailleurs beaucoup plus ses habitants que ses dirigeants.

Le problème est en réalité celui d’un double langage qui ne pourra plus longtemps être tenu. Quand des dictateurs font appel à des mercenaires israéliens, les choses sont claires pour tout le monde. La France prétend, elle, que sa présence et sa coopération militaire sont conformes à ses valeurs, qu’elles oeuvrent en faveur de l’Etat de droit. Si c’est cette plus-value qui légitime l’investissement militaire français en Afrique, il faut qu’elle soit honorée, et perçue. S’il s’agit seulement de rivaliser avec d’autres entreprises publiques, para-publiques ou privées, fournisseurs de gorilles et de gadgets électroniques à potentats locaux, il n’est pas sûr que l’influence de la France - autre éternel prétexte - y gagne à terme. Et l’on ne voit pas pourquoi le contribuable subventionnerait de son impôt le soutien militaire de régimes criminels et l’instruction de leurs milices : l’alibi de la solidarité internationale a des limites, comme le mépris de la devise républicaine. Il faudrait laisser alors les " privés " prendre leurs risques, et en payer éventuellement le prix, sans y compromettre notre pays.

La France ne pourra longtemps encore jouer sur tous les tableaux - du lyrisme humanitaire au cynisme trafiquant. Elle, et son armée, sont probablement capables de coopérer à l’institution de l’Afrique en communiquant l’héritage de leurs valeurs républicaines. C’est cet espoir qui fait que leur image n’est pas encore définitivement galvaudée. Mais cet espoir s’étiole. L’heure est proche du rejet violent d’une hypocrisie qui paraîtrait invétérée - et le mensonge militaro-humanitaire ne ferait qu’accélérer ce constat. La France vaut mieux que les incartades d’un Barril, les conseils d’un Lacaze, les trafics d’armes de la DGSE, le soutien cynique aux bourreaux de Khartoum, Kinshasa, Lomé, N’Djaména,... ou elle ne vaut rien.

Si elle n’est pas capable d’inventer une coopération militaire privilégiant la sécurité des populations plutôt que de ceux qui les martyrisent, de contracter avec des pays plutôt qu’avec leurs pillards et leurs assassins - invention qui serait une contribution appréciable à l’essor du continent africain - alors l’illégitimité de sa présence militaire s’imposera comme une traînée de poudre - et il vaudrait mieux programmer vite fait son extinction.


109. Selon Antoine Glaser et Stephen Smith, Israël sur les brisées françaises en Afrique, in Libération du 18/10/94.


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