Survie

Arlette Laguiller, éternelle ouvrière de la lutte anti-impérialiste

Publié le 17 novembre 1996

Il ne faut pas compter sur Arlette Laguiller pour déroger à la tradition anti-impérialiste et anti-colonialiste du trotskisme. La dérive inéluctable du système Foccart tournant à la criminalisation et aux complicités mafieuses (148), le système franco-africain rejoint sa caricature, et les critiques de Lutte ouvrière visent juste. Mais les remèdes proposés n’en sont pas plus crédibles pour autant, qui n’attendent la rédemption que d’un " grand soir " du prolétariat mondial.

PROPOS

On n’attend pas d’Arlette Laguiller autre chose qu’une critique radicale. Elle touche de plein fouet un système dévergondé :

" Ce que l’on qualifie de " liens traditionnels entre la France et les États d’Afrique subsaharienne " sont des liens basés sur la subordination et le pillage. Ce que l’on appelle " coopération " aujourd’hui n’est bénéfique qu’à un nombre restreint de groupes capitalistes en France et à une mince couche dirigeante en Afrique (149)".

" Les grands trusts impérialistes ont toujours besoin d’un certain nombre de matières premières, d’où leurs rivalités à ce sujet. Mais ils ont trouvé un gisement plus rentable encore que les gisements miniers : l’usure. [...] Dans les années 70, [...] on poussa les régimes africains à l’endettement en les incitant à des réalisations de prestige et, déjà, beaucoup à l’armement. Aujourd’hui, il n’y a plus guère de réalisations de prestige - même si les peuples n’ont pas fini d’en payer le prix - mais il y a toujours l’armement pour permettre aux dictateurs de défendre leurs places et les intérêts de leurs commanditaires. Et la boucle est bouclée : l’armement entraîne l’endettement dont on fait payer le prix aux peuples en se servant des armes acquises. C’est une logique folle dont ce qui se passe dans les relations entre le Zaïre, le Rwanda, le Burundi et la France constitue une des illustrations les plus visibles.

En intervenant au Rwanda, l’impérialisme français n’a pas réussi à sauver le pouvoir du clan de Habyarimana, et il a dû abandonner son emprise sur le pays [...]. Mais il a préservé la possibilité pour ce clan ami de revenir au pouvoir, dans un an ou dans deux. Et surtout, en resserrant ses liens avec Mobutu, l’impérialisme français a accru son influence sur le Zaïre. Tout cela au prix de massacres présents et probablement futurs. Au prix aussi de la déstabilisation du Burundi et peut-être du Zaïre lui-même. Mais, même de cela, l’impérialisme français se fait une raison, tant qu’il peut " surfer " sur les vagues des affrontements et des émeutes, et tant que, pendant les massacres, les affaires continuent...

Alors oui, c’est un système infâme dans son ensemble. Et si l’impérialisme français joue chez lui, comme ses semblables, au parlementarisme démocratique, à des élections dérisoires, avec des hommes politiques véreux (quand ils ne sont pas franchement des voyous), ses pieds pataugent dans le sang en Afrique (150)".

Une véritable coopération est-elle malgré tout possible entre l’Afrique et la France ?

" Pour concevoir une véritable coopération, il faudrait bouleverser bien des choses, à commencer par la France. La première des priorités devrait être d’aider l’Afrique pour que ses classes populaires puissent sortir de la pauvreté [...]. La France [...] a des responsabilités particulières en la matière. [...] Ce ne serait que justice que ses entreprises industrielles et agricoles consacrent une part de la capacité de production à produire de quoi satisfaire les besoins vitaux non satisfaits en Afrique. [...]

Une partie de la capacité de production est inemployée en France ; comme sont inemployés, du fait du chômage, les bras et les cerveaux capables de les faire fonctionner. Combien de camions ou d’engins de grands travaux pourraient être fabriqués et envoyés en Afrique ; combien de pompes, de conduites d’eau,

de canalisations pourraient être installées rien qu’avec cette capacité de production non utilisée ? Et combien d’être humains pourraient être nourris rien qu’avec cette partie de la production agricole que l’on détruit ou l’on stocke en Europe pour empêcher les prix de baisser ? (151)".

Cette conception d’une coopération-déversoir montre qu’Arlette Laguiller est trop occupée par la lutte ouvrière en France pour avoir le temps de s’intéresser aux processus concrets du développement. Cela n’empêche pas les bons sentiments : une augmentation de l’APD " ne serait que justice, car les richesses qui se sont accumulées dans les pays riches ont été volées à ces pays du Tiers monde (152)". Où est la justice si cette aide " n’est bénéfique qu’à un nombre restreint de groupes capitalistes en France et à une mince couche dirigeante en Afrique " ?

A vrai dire, le souci d’une cohérence présente n’est pas prioritaire chez Arlette Laguiller. Aucune réforme n’a de valeur avant la révolution mondiale, qui mettra en place une mécanique planifiée de production et de distribution des richesses :

" Seule une organisation économique internationale dégagée de la contrainte du profit et mise au service de l’ensemble des hommes pourrait permettre une planification globale donnant la possibilité aux pays pauvres d’accéder de plein droit à toutes les ressources aujourd’hui monopolisées par les pays capitalistes développés (153)".

La candidate tient d’ailleurs pour nul et non avenu l’objet de notre " Coalition pour ramener à la raison démocratique la politique africaine de la France " :

" Les positions d’Arlette Laguiller à ce sujet constituent une dénonciation globale des responsabilités directes de l’impérialisme français et de son État dans le sous-développement économique du continent africain, comme dans nombre de conflits meurtriers qui l’ont ravagé et le ravagent - ainsi qu’on l’a vu encore récemment au Rwanda. Cette "politique africaine" se caractérise d’ailleurs par sa continuité, sous toutes les présidences successives, et, de par sa nature même, elle n’est pas susceptible de se "démocratiser" ( 154)".

Le Cercle Léon Trotsky conclut de même :

" Bien des courants, bien des hommes, dénoncent tel ou tel aspect de ce système, y compris parmi ses serviteurs. Mais c’est le système lui-même qui, depuis longtemps, mérite de mourir. Et il mourra inévitablement lorsque le prolétariat international, seule force capable de le détruire, aura renoué avec les tâches et les perspectives historiques qui sont les siennes (155)".

PRATIQUES

Nous manquons d’informations sur la praxis africaine des diverses branches de la IVe Internationale. Certes, l’économicisme régnant étouffe la dimension politique, à laquelle s’attachent de manière presque obsessionnelle les trotskistes : ce qui peut permettre à leurs " minorités agissantes " de viser juste. Mais cette hyperpolitisation tend à négliger les cheminements de l’émergence économique (la planification proposée a quelque chose d’orwellien), ainsi que les ressorts culturels du développement.

La radicalité politique d’Arlette Laguiller et ses camarades peut ainsi organiser, en France et en Afrique, une résistance efficace aux exactions des dictatures ou aux violations systématiques des droits de l’homme - notamment vis-à-vis des immigrés. Sa pratique du contre-pouvoir est sans doute plus bénéfique que ne le serait son accès au pouvoir.

L’EPREUVE DU RWANDA

Au Rwanda, les prédictions des Cassandre ont été dépassées, les descriptions apocalyptiques du chaos néo-colonial se sont vérifiées. Les amis d’Arlette Laguiller n’en ont pas été surpris. Leur presse a affûté ses articles, ils ont multiplié les pétitions. Le passage suivant résume la tonalité de leurs interventions :

" Ce sont les chefs de ce clan [Habyarimana] qui ont préparé, organisé et fait exécuter les massacres [...]. C’est une bande de gangsters, il n’y a pas d’autre mot, [...] qui n’ont pu mettre ce malheureux pays sous leur coupe pendant vingt ans que parce qu’ils bénéficiaient de protecteurs plus salauds encore qu’eux-mêmes, et ces protecteurs se trouvent à la tête de l’État français, à la direction des affaires politiques de l’impérialisme français. Oh, certes, on a vu à un moment donné, lorsque le massacre est devenu public devant l’opinion, l’État français se poser en arbitre. C’est le cynisme de l’assassin qui se pose en défenseur de la veuve et de l’orphelin ! ( 156)".

En l’occurrence, de telles diatribes ne parvenaient plus guère à franchir le seuil de l’exagération.


148. Cf. Dossier noir n° 2, Les liaisons mafieuses de la Françafrique, Chapitre 1, Du clientélisme aux pratiques mafieuses.

149. La politique de la France en Afrique (Secrétariat de presse d’Arlette Laguiller).

150. Rwanda, Burundi, Zaïre : les ravages de cent ans de domination impérialiste, Exposés du Cercle Léon Trotsky, n° 65, 16/12/94, p. 54-55.

151. La politique de la France en Afrique (Secrétariat de presse d’Arlette Laguiller).

152. Déclaration à Non-Violence Actualité, 04/95.

153. Déclaration à La Croix du 23/02/95.

154. Lettre du Secrétariat d’Arlette Laguiller, en date du 17/02/95.

155. Rwanda, Burundi, Zaïre : les ravages de cent ans de domination impérialiste, op. cit., p. 54-55.

156. Ibidem, p. 6.

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