Survie

Philippe de Villiers : valeurs voilées au sud de la Méditerranée ?

Publié le 17 novembre 1996

La posture africaine de Philippe de Villiers laisse perplexe. Ce défenseur des valeurs familiales fait un éloge de la " famille franco-africaine " à faire rosir de plaisir les initiés Mitterrand, Chirac, Pasqua,... Ce pourfendeur de la corruption franco-française semble presque tout ignorer de sa grande soeur franco-africaine.

Cependant, il se fait l’avocat persuasif d’une coopération décentralisée " de visage à visage ", du " co-développement " et d’une intériorisation de la démocratie par les peuples.

A part la coopération de son département vendéen, on dispose de très peu d’éléments qui permettraient de pronostiquer la pratique africaine d’un Philippe de Villiers accédant au sommet de l’État. On s’étonnera pourtant, chez quelqu’un qui ne craint pas les esclandres, de son mutisme face au " plus long scandale de la République " - la politique franco-africaine - et à son avatar rwandais.

PROPOS

La famille et les amis

L’entame des déclarations de Philippe de Villiers sur l’Afrique ne laisse pas d’alerter les spécialistes en décodage des liaisons françafricaines :

" Je vois avec inquiétude la relation franco-africaine dériver vers une politique désincarnée et froide, où l’esprit de famille cède la place à la brutalité d’approches purement commerciales et financières, sous l’influence de technocrates internationaux. [...]

Le prochain Président de la République devra réaffirmer [...] la "préférence africaine" de la France, c’est à dire la volonté de Paris de maintenir une relation privilégiée avec les pays africains, fondée sur un capital incomparable de liens humains, affectifs, culturels, linguistiques. [...]

La francophonie est devenue un enjeu économique important. Je voudrais la voir devenir une véritable force politique pesant de tout son poids dans les relations internationales ( 157)".

" Il faut rebâtir au plus vite une grande politique africaine de la France. Nos amis africains l’attendent. Ils sont dans le doute et l’épreuve : ajustement structurel, dévaluation, effet pervers du GATT, menaces sur le Fonds européen de développement. Notre engagement en faveur d’une zone de coopération privilégiée euro-africaine, que les libre-échangistes veulent voir disparaître, doit être clairement réaffirmé (158)".

La corruption massive de cette relation franco-africaine est évoquée de façon très elliptique. Philippe de Villiers déclare attendre des dirigeants africains " une grande vigilance sur la bonne utilisation des fonds d’aide et de coopération. [...] Il faut bien être conscient que l’Afrique, en matière d’aide, souffre d’un déficit d’image 157". Autrement dit, le problème n’est pas la réalité du détournement de l’aide, mais la fâcheuse image qu’il induit, et qui compromet la poursuite de l’irrigation françafricaine. D’ailleurs, si " gaspillage " il y a, la France n’y est pour rien : " Des organisations internationales lointaines et technocratiques ont encouragé la réalisation un peu partout d’" éléphants blancs " et on a vu proliférer ces grandes usines inutiles qui rouillent aussitôt construites ". Le multilatéralisme cosmopolite est un bouc émissaire commode.

Chacun chez soi, chacun sa démocratie

Philippe de Villiers exalte les valeurs du terroir et du pays. Il s’en déduit que la démocratie elle-même a une saveur locale. Il ne cultive pas la xénophobie lepéniste... mais déconseille le pillage des cerveaux :

" Le "devoir d’ingérence" m’apparaît comme un concept extrêmement dangereux. [...] Si la démocratisation apparaît aux yeux des populations africaines comme le résultat d’une ingérence extérieure, elle restera fragile et sans racines. La démocratisation ne s’implantera durablement en Afrique que si elle est intériorisée par les peuples. [...]

La France doit naturellement garder sa vocation de terre d’accueil pour les véritables réfugiés politiques. Elle doit de nouveau faire fonctionner efficacement le "creuset français" [...]. Mais la France doit aussi veiller à ne pas priver l’Afrique de ses ressources humaines [...]. Si nous attirons chez nous les élites des pays du Sud de telle sorte qu’elle n’aient plus envie ensuite de mettre leurs talents et leur formation au service du développement de leur pays, nous entretenons l’un des principaux freins au développement (159).

Co-développement en vis-à-vis

Comme on ne peut nier un certain gaspillage de l’aide, et qu’il vaut mieux une coopération efficace si l’on veut contenir l’immigration - et Philippe de Villiers n’entend pas laisser à Jean-Marie Le Pen le monopole de ce thème -, le candidat du Mouvement pour la France recycle un vieux concept de gauche, le co-développement, en l’associant à la mode plus récent de la coopération non-gouvernementale et décentralisée :

" Pour mettre fin au gaspillage de l’aide et rendre possible une maîtrise de l’immigration, il faut inventer [...] une relation de coopération entièrement rénovée, que j’appelle "co-développement" [...], qui sera la nouvelle forme de notre interdépendance.

L’une des mesures les plus efficaces pour y parvenir consistera à développer la coopération décentralisée. L’État doit y jouer son rôle comme co-financeur. Mais le rôle principal est joué par les populations elles-mêmes, par les associations, par les collectivités locales [...], garantes de durée et d’adaptation aux besoins, c’est-à-dire une coopération de visage à visage [...].

Je crois qu’il faut privilégier aujourd’hui le développement autocentré, le développement des marché locaux et régionaux, le développement des zones rurales. [...] Ces actions sont moins spectaculaires, mais elles sont plus décisives et plus solides. Elles supposent de la continuité, un engagement des populations, des acteurs proche du terrain. La coopération décentralisée excelle à les mettre en oeuvre. [...] La Vendée [est parvenue] à créer [au Bénin] un réseau de maisons familiales rurales, à améliorer la qualité du réseau des postes de santé (160)".

PRATIQUES

Même si la Vendée n’est pas la seule à soutenir le réseau des maisons familiales rurales en Afrique, et même si cette action est antérieure à la conquête par Philippe de Villiers de la présidence du Conseil général, il pouvait difficilement trouver meilleur exemple - tant la coopération pédagogique mise en place par ce réseau est clairvoyante, adaptée aux situations et aux besoins. L’expérience de ce réseau pourrait sûrement inspirer un renouveau de ce type de coopération, et être beaucoup plus largement diffusée.

L’extension de ces pratiques de développement " de visage à visage ", décentralisée et non-gouvernementale, est l’objectif de la proposition de loi " relative à la contribution de la France à la lutte contre la faim et pour le développement des régions très défavorisées ", co-signée par plus de 70 % des députés. Pourquoi, lorsque cette proposition a été redéposée en 1993, au début de l’actuelle législature, par un groupe de députés UDF, Philippe de Villiers ne l’a-t-il pas de nouveau signée (161) ? Par négligence ? Ou parce qu’il ne se sentait pas vraiment concerné par la réforme de l’aide publique au développement ? Son dévoiement est pourtant l’un des éléments de ce " plus long scandale de la République " - qui a laissé Philippe de Villiers sans voix, contrairement à d’autres scandales de beaucoup plus fraîche date.

Notons encore que son premier supporter, le milliardaire Jimmy Goldsmith, se comporte au Mexique en parfait latifundiaire, une pratique peu compatible avec la priorité au " développement des zones rurales " qu’affiche son chef de file.

L’EPREUVE DU RWANDA

Comme pour plusieurs autres candidats, force est de constater l’assourdissant silence... Pour Philippe de Villiers, le génocide des Tutsis semble peser beaucoup moins que les massacres de Vendéens, voici 200 ans : ceux-ci devraient pourtant l’avoir vacciné contre l’acceptation tacite de la raison d’État ou de la loi de la majorité...


157. Document transmis par le Mouvement pour la France.

158. Déclaration à La Croix du 23/02/95.

159. Document transmis par le Mouvement pour la France.

160. Extraits du document précédent et de la déclaration à La Croix du 23/02/95.

161. Les propositions de loi deviennent caduques à la fin de chaque législature. Les signatures doivent être de nouveau collectées, parmi les parlementaires de la nouvelle Assemblée, et la proposition redéposée. Philippe de Villiers en était signataire sous la législature précédente, comme la quasi-totalité des députés de l’UDF, les groupes RPR et PC en leur entier, ainsi que 16 socialistes.

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