En mai 2012, Manuel Valls devient ministre de l’intérieur du nouveau président de la République François Hollande. Dès le 6 juillet, il concrétise une promesse de campagne en signant une circulaire qui permet d’assigner à résidence les familles sans papiers avec leurs enfants et non pas de les placer en centre de rétention comme auparavant. Le soir même pourtant, le cabinet de Valls informe la presse que cette circulaire ne s’appliquera pas au département de Mayotte. Les enfants Comoriens « en situation illégale » à Mayotte continueront d’être enfermés au centre de rétention de Pamandzi, enfer carcéral-tropical, le plus surpeuplé, le plus délabré du territoire français.
A peine un mois plus tard, un scandale éclate lorsqu’un bébé décède dans ce même centre de rétention. Les ministres concernés se fendent d’un communiqué d’une rare indécence : « C’est avec une profonde tristesse que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, et Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, ont appris le décès d’un nourrisson de deux mois » au centre de rétention administrative de Mayotte. Les deux ministères souhaitant « préciser les circonstances de cette tragédie, dont les causes exactes restent encore à déterminer ».
Si la cause directe est évidemment à chercher dans la circulaire honteuse du mois précédant, les circonstances de la tragédie tiennent plus largement de la politique coloniale de l’État français. La France, en arrachant Mayotte à l’archipel des Comores au milieu des années 1970, a transformé en étrangers « sans-papiers » des Comoriens sur leur propre archipel. Manuel Valls, au lieu de faire profil bas, justifie dans ce même communiqué sa position basée sur une forte « pression migratoire » à Mayotte, « phénomène » sur lequel il faut une « action de maîtrise ».
Manuel Valls, comme pour la plus grande part de l’arc politique français, considère ainsi que les Comoriens sont des sans-papiers à Mayotte. L’ONU affirme pourtant dans de multiples résolutions que l’île appartient aux Comores. Par exemple, la décision n° 49/18 de l’assemblée générale plénière de l’ONU, du 28 novembre 1994 « Réaffirme la souveraineté de la République fédérale islamique des Comores sur l’île de Mayotte. » C’est donc un territoire colonisé par la France au sens du droit international. Et derrière cette différenciation entre les sans-papiers par Valls, selon qu’ils soient à Mamoudzou ou à Paris, il y a le maintien de rapports de domination coloniaux de la France sur les Comores.
C’est ce même Valls qui vient d’être nommé « ministre d’État en charge des Outre-Mer ». Le titre de ministre d’État, troisième ministre d’un point de vue protocolaire, est surtout symbolique et ronflant. Mais pour ces territoires jamais décolonisés que sont les Outre-Mer, le symbole a quelque chose d’insultant quelques jours après le passage de la tempête Chido qui a ravagé Mayotte, et après les deux années interminables de répression de l’opération « Wuambushu ». Les habitants de Mayotte n’ont même pas encore eu le temps de compter tous leurs morts qu’ils se retrouvent avec un ministre dont ils connaissent déjà bien la mentalité coloniale, et les politiques mortifères.
Insultants pour les Comoriens, mais aussi pour tous les habitants de ces territoires jamais décolonisés que sont les Outre-Mer. Nommer Valls aux Outre-mer, c’est mettre en poste une personne qui milite contre l’indépendance de la Kanaky... Nommer Valls, c’est donner une promotion à un personnage qui, lorsqu’il était maire d’Evry en 2009, ne trouvait pas assez de « Blancs, de white, de blancos » à son goût dans l’espace public de sa ville... Que dira-t-il quand il se rendra à Fort-de-France ou à Papeete ?
Si Valls est connu pour être un défenseur notoire du colonialisme israélien, n’oublions pas qu’il est un aussi un acteur du néocolonialisme français en Afrique, avec la pensée raciste qui va avec. Il est ce nostalgique de l’empire français qui déclarait très tranquillement dans Valeurs actuelles (18/06/2020) : « La colonisation fait partie de notre histoire, avec ses aspects sombres et ses aspects lumineux. » C’est un partisan actif de la Françafrique qui, lors de son passage à Matignon comme premier ministre (2014-2016), rendait visite au dictateur tchadien Idriss Déby pour maintenir avec lui une « alliance stratégique », officiellement pour lutter contre le terrorisme, et contribuait surtout à réhabiliter sur la scène internationale l’un des pires régimes du monde en termes de répression de ses opposants (« Valls chez Déby : une provocation contre le peuple tchadien », 20/11/2014). C’est Valls encore qui faisait du dictateur Omar Bongo l’invité d’honneur du salon du Bourget en 2015, ou qui réfutait les « accusations injustes » contre la politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994 à l’Assemblée nationale le 8/04/2014 (« Génocide des Tutsi : le silence du quinquennat Hollande », 7/04/2017), au moment de la vingtième commémoration du génocide des Tutsis au Rwanda… Tant qu’il y a des aspects soi-disant lumineux, et surtout que les intérêts de la France sont protégés, on peut donc s’accommoder des plus sombres aspects.
Manuel Valls n’a pas été nommé ministre des Outre-mer pour améliorer le sort des Comoriens, des Kanak ou des Antillais, ou encore des Réunionnais (lui qui les situait dans le Pacifique en 2015), encore moins pour réfléchir au rôle ou la complicité de la France dans quelque crime que ce soit. Non, il est là parce qu’il est partisan de la « grandeur de la France » dans le monde, défenseur zélé de sa zone d’influence en perte de vitesse. Peu importe le prix, même lorsqu’il s’agit de la vie, de la santé ou de la sécurité des peuples des Outre-mer.