Survie

Au Brésil, le traitement du sida n’a pas de prix mais un coût

Publié le 27 septembre 2004 - Survie

Libération, France, 27 septembre 2004.

Pedro Chequer est inquiet. Car le programme brésilien de lutte contre le sida, dont il est le directeur, pourrait être menacé. Basé sur la distribution gratuite du traitement à tous les malades qui en ont besoin, ce programme a fait du Brésil le leader des pays du Sud dans la lutte contre le virus. Mais, à terme, son coût risque de s’alourdir, à cause de l’introduction des traitements de pointe et du nombre croissant de malades ; l’accès gratuit au traitement a rallongé l’espérance de vie, passée de 5 mois avant son introduction en 1996, à 80 mois aujourd’hui, selon les estimations.

Rabais. « Pour maintenir son programme, le Brésil doit produire plus de médicaments contre le sida, qu’ils soient protégés ou non par des brevets », a martelé Chequer, lors d’une rencontre avec la presse étrangère. Autrement dit, Brasilia est prêt à « casser » ces brevets pour produire des génériques. « Mais nous ne le ferons qu’en dernier recours, si nous ne parvenons pas à un accord avec les laboratoires sur une baisse des prix, une licence volontaire, voire un joint-venture », précise Chequer. Ce n’est pas la première fois que le Brésil menace de copier des antirétroviraux (ARV) pour en faire baisser les prix.

En vertu d’une loi locale qui stipule qu’aucun médicament commercialisé dans le monde avant le 14 mai 1997 ne peut être breveté au Brésil, le pays produit déjà des copies de huit des quinze ARV disponibles sur le marché. C’est d’ailleurs parce qu’il fabrique des génériques, bien moins chers que les originaux, que l’Etat peut se permettre de traiter à ses frais les malades. Et de menacer les laboratoires internationaux de s’asseoir sur leurs brevets ; cette seule menace a suffi, jusqu’ici, à leur arracher des rabais substantiels. C’est justement pour mieux faire face aux multinationales que le Brésil a annoncé, lors de la Conférence internationale sur le sida, à Bangkok en juillet, la création d’un « réseau de transfert de technologie », rejoint par la Chine, le Nigeria, la Russie, l’Ukraine et la Thaïlande, tous situés dans les régions les plus touchées par la pandémie.

Echanges. Pour Brasilia, « cette alliance préventive anticipe l’obligation, pour tous les pays de l’Organisation mondiale du commerce, de respecter, à partir du 1er janvier 2005, la législation internationale de propriété intellectuelle, qui risque d’élever le coût du traitement, en réduisant les investissements dans l’industrie des génériques ». Et en renforçant l’industrie pharmaceutique. Face à cette nouvelle donne, qui pourrait réduire le pouvoir de négociation des pays en développement, ce « pacte stratégique » vise à donner à ses signataires les moyens de menacer les laboratoires d’ignorer les brevets.

L’alliance leur permettra en effet d’accroître leur capacité de production locale de génériques, préservatifs et tests divers, et cela en échangeant leurs technologies : les préservatifs pour la Thaïlande, les génériques et les tests pour le Brésil (qui commencera bientôt à fabriquer localement ceux du dépistage rapide du virus)... Le pacte prévoit aussi des recherches en commun pour copier partiellement les nouveaux médicaments. L’idée étant que des modifications dans la formule peuvent éviter de casser les brevets tout en réduisant les coûts.

Les six pays vont tenir leur première réunion en octobre pour identifier leurs capacités technologiques et élaborer une stratégie. « Sans cette coopération, qui va réduire le coût du traitement, le Brésil risque de ne plus pouvoir distribuer gratuitement le traitement aux malades », note Eduardo Barbosa, militant associatif. Mais son succès dépend aussi d’investissements sur place, de l’adhésion de l’Inde ­ à la pointe de la production de génériques ­, qui ne s’est pas encore prononcée. Enfin « de celle des pays riches, principaux détenteurs de la technologie », conclut Barbosa.

Par Chantal RAYES

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