Survie

« Calfeutrez tout ! Les criquets pèlerins déferlent sur Le Caire »

Publié le 19 novembre 2004 - Survie

Libération, France, 19 novembre 2004.

C’est un nuage qui obscurcit soudain le ciel. Une masse sombre et menaçante qui vibrionne, comme la neige sur un écran de télévision. « Fermez les fenêtres, calfeutrez tout, ils arrivent ! » Mercredi matin, les téléphones du Caire n’ont cessé de sonner. Partout, les mêmes voix surexcitées, les mêmes témoignages effarés. L’invasion de criquets pèlerins qui a déferlé sur la capitale égyptienne a provoqué un début de panique, à peine calmée par les propos rassurants du ministre de l’Agriculture, Ahmed al-Leithy selon lesquels le phénomène n’aura « aucun impact sur l’homme et sur l’agriculture ».

Pas vorace. « Je n’ose plus sortir de chez moi », indiquait mercredi une habitante du centre-ville, terrorisée par les nuées voletant devant ses fenêtres. Dans le quartier de Gizeh, des scènes impressionnantes ont été rapportées par les Cairotes traumatisés par le vol bas des insectes, qui se sont posés dans les rues, les balcons et les jardins publics. Malgré les rumeurs annonçant le survol de la ville par des avions chargés de pesticides, les autorités égyptiennes n’ont finalement pas essayé de lutter contre ces criquets jaune orangé, d’une taille respectable (près d’une dizaine de centimètres), qui n’ont, au bout du compte, pas vraiment fait de dégâts dans la capitale. Une chance, explique Bernard Quéré, consultant indépendant en agriculture au Caire. « Ces insectes, bien qu’adultes, sont encore immatures. Le danger intervient plutôt en période de reproduction. Le criquet devient alors vorace. Les larves et les insectes jeunes non ailés surtout provoquent de vrais désastres, en rongeant tout. »

Les premiers acridiens avaient été observés fin octobre à la frontière nord-ouest du pays. Une situation exceptionnelle : si l’Egypte connaît chaque année une petite alerte, elle est essentiellement localisée dans le sud et liée aux essaims venus du Soudan. Cette fois-ci, devant les nuées venues en nombre de Mauritanie, via la Libye, le gouvernement a décrété l’état d’alerte maximale, et éradiqué sans trop de peine les premières salves. Une semaine plus tard, les criquets ont pourtant récidivé en s’abattant en masse entre l’oasis de Siwa et la ville côtière de Mersa Matrouh. Une vision apocalyptique, selon des témoins : sur l’autoroute, la circulation était interrompue, les conducteurs affolés s’enfermant dans leurs voitures, et les essaims de criquets s’infiltraient jusque dans les moteurs.

A l’approche des grandes cultures et des vergers du delta du Nil, les populations ont fait brûler des pneus et de la paille séchée, afin de produire une fumée noire pour chasser les insectes. Mais mercredi, les premiers criquets ont atteint Le Caire. Hier, on signalait leur présence, pour la première fois, au Liban.

Bataille à gagner. Pour la population égyptienne, cette invasion est la conséquence d’une mauvaise gestion de la crise. Le quotidien semi-officiel Al-Akhbar et près d’une centaine de députés ont réclamé l’ouverture d’une enquête sur les défaillances du ministère de l’Agriculture. Un échec sans conséquence immédiate pour l’Egypte, mais bien plus inquiétant pour l’ensemble du continent africain.

La semaine dernière, le secrétaire général adjoint des Nations unies, Jan Egeland, affirmait : « Si nous perdons la bataille dans les cinq prochaines semaines, des dizaines de millions de personnes n’auront plus de quoi se nourrir dans les pays d’Afrique occidentale. » Il y a un an déjà, la FAO avait lancé un appel à contribution pour neutraliser les essaims. Un cri d’alerte qui n’a pas été entendu par les Etats, ce que regrettent les spécialistes qui soulignent notamment le risque d’une famine prochaine au Mali, sur les plateaux dogons ravagés par les criquets, alors que les stocks céréaliers sont insuffisants. Quant à l’Egypte, cette invasion spectaculaire, mais inoffensive, pourrait n’avoir été qu’un coup de semonce. Le consultant Bernard Quéré avoue ainsi « son inquiétude », alors que la FAO signale la présence au Soudan de criquets adultes, qui pourraient faire des ravages au printemps. « La température en baisse perturbe pour l’instant les cycles reproductifs, explique-t-il. Mais l’arrivée des prochaines chaleurs pourrait donner un coup de fouet aux vagues de criquets. Et provoquer le retour de la huitième plaie d’Egypte. »

Par Claude GUIBAL, correspondante au Caire

© Libération


Extraits d’une dépêche AFP, Israël, 19 novembre 2004.

Des essaims de criquets pèlerins dans le sud d’Israël

Des essaims de criquets pèlerins ont atteint vendredi la ville d’Eilat dans le sud d’Israël, a annoncé la radio militaire. (...)

Le ministère de l’Agriculture a indiqué qu’un plan d’urgence était prêt à être appliqué et que des opérations de pulvérisation aérienne pouvaient être lancées à tout moment, a ajouté la radio.

Le 2 novembre, après l’apparition de criquets à Chypre et au Liban, un porte-parole du ministère de l’Agriculture avait indiqué que des "mesures ont été prises pour combattre les essaims de criquets". (...)

La dernière invasion de criquets en Israël remonte aux années 1950.

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