Survie

Des solutions pour les goinfres en eau

Comment consommer moins d’eau dans les centrales EDF, les champs, usines, piscines...

Publié le 12 août 2005 - Lounis Aggoun

Libération, France, 12 août 2005.

Comment vit-on dans une France sans eau ? Une question à laquelle il faudra trouver une réponse si les prévisions de Météo France, à savoir des épisodes de sécheresse plus intenses et plus nombreux à l’avenir, se réalisent. Petit tour d’horizon de la sobriété dans l’usage de l’eau.

Energie

Moins de lumière

Pour économiser de l’eau, on pourrait... éteindre la lumière. La fée électricité est très gourmande en précieux liquide. Les centrales, thermiques ou nucléaires, en ont besoin pour se refroidir. Tels les Shadoks, les centrales nucléaires pompent des milliards de litres d’eau chaque jour. Une moitié est rendue au milieu naturel, l’autre s’évapore dans les airs... Mais un fleuve comme la Loire à sec, et ce sont jusqu’à quatre centrales qui ferment, soit 12 réacteurs. La centrale de Civaux (Vienne) prélève 345 millions de litres dans la Vienne chaque jour pour refroidir ses deux réacteurs. Si le débit du fleuve passe en dessous de 10 m3/s, on doit arrêter les unités. En ce moment, il se maintient à 17 m3/s.

Aujourd’hui, neuf unités sont à l’arrêt, officiellement pour des raisons de maintenance. Mais le planning d’EDF tient compte des prévisions météo. Pour l’été, elle a choisi de ne pas stopper plus de trois réacteurs de bord de mer en même temps. La mer, elle, ne s’assèche pas. Des rivières à sec se traduisent par des fermetures de centrales nucléaires. Mais EDF gère bien son eau, notamment grâce à ses innombrables barrages qui soutiennent le niveau des fleuves en cas de besoin. Les réserves de ces retenues représentent 10 milliards de m3 (dont 7 milliards exploités par EDF). Pourtant, en consommant moins d’électricité, on allégerait la pression d’EDF sur le patrimoine hydraulique : un kilowatt non consommé n’a pas besoin d’être produit.

Agriculture

Sans maïs, pas de magret

Couper la flotte aux agriculteurs pendant l’été ? Ce serait sans doute la meilleure solution pour faire rapidement des économies d’eau. Selon les chiffres de la FNSEA elle-même, les paysans à eux seuls consomment près de 80 % de l’eau à la belle saison. Evidemment, sans eau en abondance, les 880 000 hectares de maïs français irrigués sécheraient sur pied, surtout dans le Sud-Ouest. Il n’y a qu’à se passer de maïs, disent certains. Pas si simple. Le Modef, syndicat paysan proche du PCF, crie déjà à l’invasion du maïs américain... assaisonné d’OGM. A la FNSEA, Jean-Michel Delmas, chargé du dossier sécheresse, est intarissable sur « l’économie du maïs » pour justifier son irrigation : « 80 % du maïs français est consommé par nos bêtes. Le poulet jaune du Gers et les magrets de canard n’existeraient pas sans lui. Il sert de fourrage pour les bovins. » Il avance un argument géologique pour réfuter la possibilité d’une substitution entre maïs et blé, par exemple : dans le Sud-Ouest français, les terres seraient trop sableuses pour produire du blé dans des conditions rentables. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, couper l’eau aux cultures d’été en plein champ comme le melon, la tomate, la courgette ? En réalité, ceux-là consomment peu d’eau, ces légumes étant arrosés par des systèmes de goutte-à-goutte sous protection d’un film biodégradable. De même les arboriculteurs (pommes, kiwis, pêches, etc.) ont des systèmes d’arrosage millimétrés et sont eux aussi réputés peu consommateurs d’eau... Ouf !!!

Industrie

Des économies depuis vingt ans

Difficile de réduire la consommation d’eau de l’industrie, mais non impossible. C’est que l’eau est une ressource indispensable à la plupart des activités industrielles, dont la part dans les volumes d’eau prélevés en France a été de 12 % en 2002. La production d’un litre de bière, par exemple, réclame 5 litres d’eau. Il faut 50 litres d’eau pour fabriquer 1 kilo de sucre, à peu près autant qu’une bonne douche. Dans l’automobile, on atteint des sommets : on utilise 10 000 litres d’eau pour construire une voiture... Mais on se voit mal ne plus boire de bière ou ne plus sucrer nos desserts.

Depuis une dizaine d’années, le volume total de prélèvements d’eau en France est pourtant relativement stable, en partie en raison de la réduction significative (-30 % en trente ans) des prélèvements industriels. La baisse a été régulière : en 1985, l’industrie française consommait plus de 5 millions de m3. Son compteur n’affichait plus que 3,8 millions de m3 consommés en 2002. Explication : le ralentissement de certaines activités, mais aussi l’adaptation de secteurs traditionnellement « assoiffés », comme l’industrie du papier. Les progrès des systèmes de recyclage d’eau ont ainsi permis à une usine périgourdine du papetier Lecta de ramener sa consommation horaire de 1 200 à 950 m3.

L’industrie textile est elle aussi grosse consommatrice, tout comme le secteur agroalimentaire ou les fabricants de verre. Pas de panique pour autant dans ces secteurs, qui ont anticipé la sécheresse. Dans les zones les plus touchées, quelques entreprises s’inquiètent, comme dans les Cévennes où la pluviométrie est très faible depuis trois ans. En Alsace, région leader pour l’usage industriel de l’eau (270 millions de m3 pompés), les chimistes Rhodia et Bayer, le papetier Stracel ou le brasseur Kronenbourg n’ont pas de souci à se faire. « Il y a un arrêté sécheresse depuis juin sur le Bas-Rhin, commente Marc Hortzel, directeur adjoint de l’agence de l’eau Rhin-Meuse, mais à titre conservatoire... »

Vie quotidienne

La chasse aux fuites

Agriculteurs et centrales pompent de l’eau, mais nous aussi ! En moyenne, un Français consomme 137 litres d’eau dans sa vie domestique chaque jour, volume en baisse depuis le début des années 90. Mais pendant les vacances, on consomme 230 litres par jour. « Environ 60 % des Français estiment que l’eau est une ressource limitée », explique-t-on au Centre d’information de l’eau. « Mais cela ne veut pas dire que 60 % des Français l’utilisent avec parcimonie. » Avec des tuyaux à sec, on serait plus attentifs aux gaspillages, à commencer par les fuites (robinets, chasses d’eau, conduites...), qui représentent jusqu’à 20 % de notre consommation. On pourrait traquer les gaspis jusque dans les chasses d’eau. Une personne utilise 30 litres d’eau pour vidanger ses besoins chaque jour, soit 20 % de sa consommation quotidienne, une chasse d’eau classique consommant 9 litres. En plongeant une brique ou une bouteille lestée dans le bac, on réduit ce volume. On peut également adopter la chasse à double débit (3/6 litres). Voire envisager l’installation de toilettes sèches ou la mise en place d’un second réseau utilisant, par exemple, l’eau de pluie.

Dans la salle de bains, le gaspillage se loge dans la robinetterie : ouvert, un robinet écoule 12 litres à la minute. Mieux vaut se rincer les dents au gobelet. Idem pour la vaisselle qu’on fait dans une cuvette ou un double évier.

L’eau peut venir du ciel si on installe un système de récupération des eaux de pluie qui ruissellent des toits. Une toiture de 250 m2 permet de récupérer théoriquement 250 m3 dans l’année. Stockée dans un bassin ou une citerne, on pourra l’utiliser pour les toilettes, la vaisselle ou prendre sa douche. Evidemment, dans une France aride, les bains délassants seraient proscrits. Ils consomment au moins trois fois plus d’eau (150 à 200 litres) qu’une douche (30 à 80 litres). Dans le jardin, fini les arrosages à plein tube (15 à 20 litres par m2) en plein après-midi. On cultivera les tomates avec des goutte-à-goutte parcimonieux très efficaces. Quant à la voiture sale, qui nécessite 200 litres pour retrouver tout son lustre, on la nettoiera à l’éponge. S’il le faut.

Loisirs

Le golf écolo, comme en Espagne

En été, un million de foyers farnientent au bord d’une piscine privée, dont la contenance varie de 50 à 80 m3. Les mesures de restriction prises par les préfets interdisent le remplissage, en théorie. En pratique, personne ne débarque dans les jardins pour vérifier si le tuyau d’arrosage réajuste ou non le niveau du bassin. En plein été, une piscine perd en moyenne 5 centimètres d’eau par semaine. Sur les stades et les pelouses de terrain de foot, mieux vaut jouer sur de l’herbe jaunie. En revanche, pour les amateurs de golf, c’est impensable. « Si on n’arrose plus un golf, il meurt. Or il faut un an pour reconstituer un green », dit Jérôme Paris, de la Fédération française de golf, qui compte 550 clubs. « On a réglementé les procédures d’arrosage. C’est-à-dire qu’on n’arrose pas la journée, ou alors uniquement les greens, et avec un tiers des volumes habituels. Il s’agit dans ce cas extrême de garder l’herbe en vie. » En Espagne, on a inventé le golf écolo. A Quijorna, le patron du club utilise une surface irriguée dix à vingt fois inférieure à celle d’un terrain ordinaire en utilisant des espèces végétales locales et en n’arrosant que le green, c’est-à-dire la fin du parcours. Son golf ne consomme ainsi que 100 m3 d’eau par an. Chiffre qui devrait faire méditer les clubs français. En moyenne, ils utilisent 50 m3 par nuit pour arroser le green d’environ un hectare.

Par Laure NOUALHAT et Jean-Philippe REMY

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