Survie

Il faut soustraire la pharmacie à la loi du marché

Publié le 5 mars 2002 - Victor Sègre

L’Humanité, France, 5 mars 2002.

Quelles réflexions vous inspirent les suppressions d’emplois intervenues depuis deux ans et les menaces de fermetures de centres de recherche ?

Thierry Bodin : Le sentiment d’un immense gâchis. La France, qui était, voilà vingt-cinq ans, deuxième pour les découvertes de molécules, occupe la dixième place aujourd’hui. Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de conserver en l’état le potentiel existant eu égard aux défis sanitaires, ici et à l’échelle de la planète. Car ce n’est pas la logique de santé qui prédomine dans les choix des firmes pharmaceutiques, mais celle de la rentabilité, et même de l’hyper rentabilité. Il y a des maladies, y compris des cancers, qui sont très rentables, et d’autres qui le sont moins. La logique des grands groupes va à l’encontre des logiques de santé publique. Aux mains des actionnaires, des groupes comme Aventis en sont au point de comparer leurs investissements en R & D avec un placement en Bourse... Les menaces qui pèsent sur la recherche en France et en Europe sont très graves.

Que préconisez-vous pour stopper cette évolution ?

Thierry Bodin : Il faut arriver à soustraire l’industrie pharmaceutique à la loi du marché. Il est important de faire grandir cette idée. Dans un premier temps, Aventis doit ouvrir ses livres de comptes. La Commission européenne devrait l’exiger et décider d’enquêter. En France, il existe une loi de contrôle des fonds publics (loi Hue - NDLR) qui doit être appliquée pour Aventis, car la santé publique est du ressort des pouvoirs publics. Quant aux dizaines de molécules pas assez rentables financièrement qui restent dans les placards des labos, il faut soit les obliger à les développer, soit à les céder gratuitement à des structures publiques, à créer, pour les développer et répondre ainsi aux immenses besoins de santé publique. Tout de suite et parce qu’ils le sont, les centres de recherche doivent être reconnus d’utilité publique et, à ce titre, interdits de fermeture.

Les firmes menacent de quitter l’Europe ou de ne plus la faire bénéficier de leurs nouveautés...

Thierry Bodin : Actuellement, elles le font déjà en se désengageant, comme Aventis, en externalisant leurs coûts, et en ne gardant en interne que le plus rentable. Il faut décider d’une action, au niveau européen, pour faire échec aux restructurations en cours et permettre le développement de la recherche. Par ailleurs, les grands groupes ne risquent pas de renoncer à un marché qui reste tout de même juteux, avec des pays comme la France, deuxième marché mondial d’Aventis après les Etats-Unis, avec 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires. La France est un marché particulièrement intéressant, avec un système de Sécurité sociale qui permet aux laboratoires de faire de somptueux bénéfices. La maîtrise de la santé est indispensable pour le développement d’un pays. C’est un enjeu de société.

Thierry Bodin, élu CGT d’Aventis-Pharma

© L’Humanité

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