Survie

L’eau, un marché juteux

Publié le 27 mars 2003

Politis, France, 27 mars 2003.

La Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce et l’Union européenne sont des acteurs décisifs de la privatisation. Un processus en marche.

Quand les géants de l’eau entrent en scène, estiment certains, le prix de l’eau augmente. Affirmation sans fondement ? En France, le tarif consommateur a augmenté de 150%, alors que la qualité s’est déterriorée. L’agriculture n’est pas seule en cause. Un rapport gouvernemental a révélé que plus de 5,2 millions de personnes disposaient d’une eau "présentant une présence bactériologique inacceptable". En Grande-Bretagne, le prix de l’eau a augmenté de 450%, les profits des entreprises de 692%. Mais les suspensions de fourniture d’eau aux particuliers ont augmenté de 50% ! Les cas de dysentrie sont six fois plus nombreux, et la British Medical Association a condamné la privatisation de l’eau pour ses effets néfastes sur la santé.

Des cas isolés ? Non, les exemples abondent de par le monde. "Dans la plupart des cas, les grands projets de développement hydraulique bénéficient aux plus puissants et confisquent les biens des plus faibles", remarque la physicienne et militante écologiste Vandana Shiva, dans un livre intitulé La guerre de l’eau (éditions Parangon). Et l’on assisterait là à ce que certains appellent une "pétrolisation" de l’eau. L’eau, ne pouvant plus être considérée comme un élément constitutif du patrimoine commun de l’humanité, mais comme une marchandise, doit être traitée sur les marchés à l’instar du pétrole.

En quelques décénnies, les organisations institutionnelles mondiales ont joué les maîtres d’oeuvre de cette logique de marchandisation. Les politiques imposées par la Banque mondiale, les règles libérales établies par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont en train de créer "une vaste culture mondiale d’Etats-entreprises", indique Vandana Shiva. De quelle manière ? La Banque mondiale ne s’est pas contentée "de jouer un rôle majeur dans la création de la pénurie d’eau et de la pollution. Elle oeuvre à présent pour transformer cette rareté en créneau commercial pour les entreprises d’eau."
La Banque estime que le marché potentiel de l’eau s’élève à 1 billion de dollars et constituerait le placement le plus profitable. De grandes firmes comme Monsanto, promoteur des OGM, convoitent ce marché lucratif et négocient actuellement une possible collaboration avec la Banque mondiale. Mais seules quelques multinationales comme Suez-Lyonnaise des Eaux, Vivendi Environnement et l’américaine Bechtel dominent le marché mondial. (...)

L’OMC a inscrit dans le programme des négociations qui doivent se terminer le 1er janvier 2005 "la réduction, voire, si c’est approprié, l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires aux biens et services environnementaux", dont le secteur de l’eau. Les ministres réunis à Doha ont convenu également que ces négociations devaient accorder une "attention particulière" à "l’effet des mesures environnementales" afin de veiller à "l’élimination ou la réduction" des distorsions que pourraient provoquer de telles mesures pour le commerce. La prospection, la protection et la gestion des nappes aquifères, la captation, la purification et le stockage de l’eau, sa distribution et le traitement des eaux usées sont des activités qui tombent sous le couperet de l’AGCS. (...)

Un exemple illustre cette volonté de libéralisation à tout prix de la Commission européenne. Celle-ci a spécifiquement demandé à des gouvernements de libéraliser le secteur de l’eau dans des pays où, sous la pression des habitants et des élus, un processus de libéralisation de l’eau engagé par le gouvernement a été, il y a peu, rejeté ou limité : Bolivie, Egypte, Panama, Paraguay. En outre, dans plusieurs lettres échangées en 2002 avec Suez-Lyonnaise des Eaux et les services de Pascal Lamy, commissaire européen au commerce et seul négociateur à l’OMC, la Commission européenne a demandé à cette multinationale de lui communiquer les législations et règlementations qui, pays par pays, "affectent [ses] opérations de manière négative", en insistant sur les normes nationales qui imposent le service universel. (...)

Par Thierry Brun

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