Survie

La Belgique renonce à être la « justicière du monde »

La loi qui lui permettait de juger des crimes internationaux va être amendée.

Publié le 24 juin 2003 - Victor Sègre

Libération, France, 24 juin 2003.

Après plusieurs semaines de siège, le gouvernement belge a fini par céder aux pressions internationales, émanant surtout d’Israël et des Etats-Unis, en réduisant la portée de sa loi de « compétence universelle » qui devenait diplomatiquement embarrassante. Dix ans après s’être dotée d’une législation qui était en passe de la transformer en « justicière du monde », la Belgique rentre donc dans le rang.

Publicité. Adoptée à l’unanimité par le Parlement en 1993, cette loi érigeait les cours et tribunaux belges en gendarmes du monde pour la répression des crimes les plus graves, le génocide, le crime contre l’humanité ou contre le droit international, quel que soit l’endroit où ils ont été commis et quelle que soit la nationalité des victimes et bourreaux. Saluée par les organisations de défense des droits de l’Homme, cette loi a permis de condamner, il y a deux ans à Bruxelles, quatre Rwandais ayant participé au génocide de 1994 dans leur pays. C’est aussi en son nom que la Belgique avait demandé l’extradition de l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet. La publicité faite autour de ces affaires a entraîné le dépôt à Bruxelles de plus de trente plaintes contre des dirigeants étrangers, notamment le Premier ministre israélien Ariel Sharon, poursuivi pour son rôle présumé dans les massacres de Sabra et Chatila au Liban.

Ce déferlement de plaintes, plus ou moins bien fondées, devenait de plus en plus difficile à gérer. La semaine dernière encore, de nouvelles plaintes ont visé le président américain George W. Bush et le Premier ministre britannique Tony Blair pour leur responsabilité dans la guerre en Irak.

Trois amendements majeurs seront proposés au Parlement, dès que le nouveau gouvernement sera constitué. D’abord, la loi ne peut désormais s’appliquer que si la victime qui dépose plainte en Belgique bénéficie de la nationalité belge ou séjourne sur le territoire du Royaume depuis au moins trois ans. Par ailleurs, il faudra que l’auteur présumé du crime soit lui aussi de nationalité belge ou réside en Belgique également depuis trois ans. Deuxième axe majeur de l’amendement : la plainte n’est recevable que si le pays où les crimes présumés ont été commis ne connaît pas de législation pour les réprimer ou ne peut garantir la tenue d’un procès équitable. Enfin, la recevabilité de la plainte sera examinée par le premier président de la cour d’appel de Bruxelles.

Pression américaine. Les critiques sont déjà légion contre ce projet d’amendement, et elles proviennent notamment d’Amnesty International, ou d’associations internationales pour la défense des droits de l’Homme. « Exclure une plainte qui met en cause un pays démocratique, c’est aller trop loin », car on instaure « une politique de deux poids, deux mesures », a regretté Human Rights Watch (HRW). L’un de ses responsables en Belgique, Reef Brody, regrette que, « sous l’effet d’une pression irrationnelle des Etats-Unis, le gouvernement belge renie les principes fondamentaux ». Une grande partie de la presse belge considère aussi que Bruxelles a capitulé en rase campagne. La menace américaine était sans ambiguïté : si la loi n’était pas abrogée ou revue de telle manière que les officiels américains ne risquaient plus rien en se rendant à Bruxelles, les institutions de l’Otan allaient être évacuées vers d’autres pays. Le port d’Anvers était menacé de faillite et le colossal commerce du diamant, le plus important du monde, était également dans la balance. Le Premier ministre Guy Verhofstadt, appelé à se succéder à lui-même, ainsi que le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, ont choisi. Ce dernier estimait dans un entretien au Soir que la loi allait continuer à « jouer pleinement son rôle » en se « concentrant sur les pays qui ne jouissent pas d’une justice équitable ».

Par Jean-Pierre DE STAERCKE, correspondant à Bruxelles

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