Survie

La lutte contre le réchauffement controversée

Publié le 28 octobre 2002 - Odile Tobner

Le Figaro, France, 28 octobre 2002.

Dès demain, plus de 60 ministres venus du monde entier vont entamer les discussions au plus haut niveau qui vont conclure la conférence sur le climat se tenant à New Delhi jusqu’au 1er octobre. Il s’agit probablement de la dernière réunion internationale majeure avant que le protocole de Kyoto sur les changements climatiques ne rentre en vigueur. Ce qui se produira dès qu’elle aura été ratifiée par un assez grand nombre de pays, ces derniers devant être responsables de plus de 55 % du niveau global des émissions.

Cet objectif sera atteint dès que la Russie aura rejoint les 96 pays déjà signataires, ce qui devrait être fait dans le cours de l’année 2003. Le protocole, qui impose aux pays industriels d’abaisser de 5,2 % leurs émissions de gaz à effet de serre en 2008-2012 par rapport au niveau de référence de 1990, semblait bien mal en point après le retrait fracassant des États-Unis en mars 2001.

Malgré l’absence des Américains, pourtant plus gros pollueurs de l’air de la planète avec un quart des émissions globales, le processus engagé à Rio en 1992 et finalisé en 1997 à Kyoto poursuit son chemin. Les discussions menées à New Delhi vont surtout servir à progresser vers un accord entre pays industrialisés et pays en voie de développement sur la question de l’«  après-Kyoto », au-delà de 2012.

Dans le cadre actuel du protocole, seuls les pays industrialisés se voient imposer des objectifs de réductions chiffrés. Les pays du Sud, Chine, Brésil et Inde en tête, ne veulent pas se voir imposer des limitations d’émissions de CO2 pour la période 2013-2017, ce qui, disent-ils, entraverait leur développement économique. Les négociations officielles sur le sujet devraient s’engager seulement en 2005, mais New Delhi offre une bonne occasion pour amorcer des discussions informelles entre les différentes parties. Forte de ses bons résultats sur la limitation des émissions de CO2, l’Union européenne, et la France par la même occasion, vont tenter de convaincre les pays du Sud du besoin urgent de diminuer les rejets de ces gaz qui augmentent la température à la surface de la planète.

C.V.

A New Delhi, de notre correspondante Marie-France Calle :

Pays hôte de la conférence sur le changement climatique, l’Inde reste surtout le chef de file des pays en développement. Rien d’étonnant, donc, que Delhi ait décidé de placer la réunion sous le signe du développement durable et les moyens de le financer. Rien d’étonnant non plus que les Indiens refusent tout engagement chiffré sur une réduction des gaz à effet de serre, même après 2012. Un tel engagement, rappelle-t-on ici, ne manquerait pas de pénaliser d’abord les économies émergentes. « On ne peut pas placer la barre trop haut en matière d’environnement dans les pays dont la première préoccupation reste la lutte contre la pauvreté », résume un représentant indien. Et pourtant. Dès l’ouverture de la conférence, le 23 octobre, T. R. Baalu, le ministre indien de l’Environnement et des Forêts, a lancé un « appel pressant » pour que le protocole de Kyoto entre en vigueur le plus rapidement possible. Mais, a-t-il souligné, il revient aux pays industrialisés de prendre en mains la lutte contre la pollution et le changement climatique. D’abord parce que ce sont eux qui polluent le plus. Et puis, parce que pour eux, le coût économique et social est bien moindre que pour les plus pauvres.

« Tous les pays doivent promouvoir le développement durable, qui doit réconcilier croissance économique et environnement, a reconnu T. R. Baalu. Mais ce sont les pays développés qui doivent jouer le rôle principal dans la modification à plus long terme des tendances à la hausse des émissions de gaz à effet de serre, et adopter les mesures de réduction de ces émissions qu’ils se sont engagés à prendre. » Le ministre a également insisté pour que la conférence de Delhi mette l’accent sur l’aide que les pays riches devront apporter aux pays en développement afin de leur permettre de s’adapter aux conséquences du réchauffement de la planète.

« Cela ne fait aucun doute, les Indiens vont tenter de tirer un bon bénéfice politique de cette conférence », juge un diplomate européen en poste à New Delhi. « Ils souhaitent des transferts de technologie, une augmentation de l’aide au développement. Cela étant, poursuit-il, il faut reconnaître que les responsables de Delhi sont parfaitement conscients de la nécessité de lutter contre l’effet de serre. Ils sont prêts à prendre des mesures drastiques, mais ils ne veulent pas qu’elles leur soient imposées de l’extérieur ».

Des décisions pour réduire les émissions de gaz polluants, l’Inde en a déjà pris un certain nombre. Mais elles sont parfois difficiles à appliquer. Ainsi de l’obligation qui est faite depuis deux ans à tous les véhicules de transports en commun d’utiliser du GPL. Un arrêt de la Cour suprême en ce sens a dû être repoussé à plusieurs reprises devant les grèves monstres lancées dans les grandes métropoles par les chauffeurs de bus, de taxis ou encore de scooter-rickshaws. « Cela me revenait moins cher de payer une amende de temps à autre pour non-conformité que de faire changer le système d’alimentation de mon taxi », raconte Jasbir Singh qui a quand même fini par trouver les moyens de mettre son véhicule aux normes. Cela ne lui a pas simplifié la vie pour autant. A la peur du gendarme se sont substituées les longues heures passées dans les files d’attente qui s’allongent devant les trop rares stations équipées de pompes GPL. Aujourd’hui encore, il arrive qu’un chauffeur d’autocar, de taxi ou de rickshaw reste une nuit entière dans son véhicule en attendant son tour. Avec tout ce que cela représente de fatigue et de manque à gagner.

« L’Inde est loin d’avoir une pollution aussi élevée que celle de la plupart des pays industriels, mais la tendance est inquiétante, note le diplomate européen. Les productions de gaz à effet de serre y ont doublé en quelques années et le niveau d’émissions est égal à celui du Japon. » Plus encore que les véhicules, ce sont les industries qui polluent. Et puis, surtout, les centrales thermiques. Selon le Times of India, le gouvernement indien projetterait de créer un bureau de liaison interministérielle qui aurait pour tâche de surveiller et de conseiller les industries publiques et privées. « Une manière de traduire en acte le sommet sur le changement climatique », relève le quotidien, qui explique que ce bureau servirait aussi à canaliser l’aide des pays développés à la lutte contre la pollution.

L’Inde n’est pas la seule à réclamer une plus grande compréhension et davantage de responsabilité de la part des pays industrialisés. Le représentant chinois à la conférence de Delhi n’a pas mâché ses mots. « La population des pays en développement a le droit, elle aussi, d’avoir de l’électricité de manière à pouvoir vivre dignement », a lancé Gao Feng. Ajoutant : « Le développement économique et social reste la priorité des nations en développement et les mesures sur le changement climatique devraient être prises conformément à cette priorité. » Lui aussi a mis l’accent sur la nécessité de « faire porter l’effort sur le développement durable ». Il a estimé que « le fossé entre les pays riches et les pays pauvres continuait de se creuser ».

Les Américains, qui ne sont pas prêts de ratifier le protocole de Kyoto, sont-ils particulièrement montrés du doigt ? Pas davantage, apparemment, que les autres pays riches accusés de « duplicité ». Ils sauront en tout cas se défendre. Washington a fait déjà valoir que Kyoto ruinerait l’économie américaine. Or, globalisation oblige, un ralentissement aux Etats-Unis ne manquerait pas d’affecter les économies émergentes. Ne serait-ce que parce que les Américains réduiraient leurs importations. Ce qui ne manquerait pas en effet de pénaliser nombre de pays en développement.

Le représentant du Venezuela a accusé pour sa part les pays industrialisés de « ne pas avoir tenu leurs engagements dans la lutte contre le changement climatique ». Et, a ajouté Luis Herrera Marcano, « puisque l’une des premières conséquences du changement climatique sera un accroissement de la pauvreté dans le monde, il est urgent de prendre des mesures pour éradiquer les effets » du réchauffement de la planète.

A Delhi plus qu’ailleurs, on est conscient que les changements climatiques engendrent des fléaux dont les premières victimes sont les plus démunis. La mousson désastreuse de cet été a provoqué une sécheresse sans précédent dans le nord-ouest de l’Inde alors que les inondations faisaient des ravages dans le nord-est. Il y a quelques jours, les premiers cas de famine ont été signalés au Rajasthan. Une région désertique qui a vu tomber la première goutte de pluie fin août alors que la mousson était annoncée pour le 29 juin !

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