Survie

Le maïs mexicain se découvre entaché d’OGM américain.

Publié le 21 octobre 2004 - Survie

Libération, France, 21 octobre 2004.

Accusé de protectionnisme dans le dossier des organismes génétiquement modifiés et dénoncé par les Etats-Unis et le Canada pour de telles pratiques devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Bruxelles vient de se trouver un allié improbable... en Amérique du Nord. La Commission de coopération environnementale (CCE), créée en 1994 dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), vient de conclure une étude portant sur le maïs transgénique au Mexique et ses effets sur la biodiversité et la culture traditionnelle. Mardi, ses recommandations unanimes et confidentielles ­ présentées aux représentants des trois gouvernements nord-américains le 13 septembre ­ ont été divulguées sur Internet par Greenpeace.

Colère. Alors que le Mexique a interdit l’ensemencement de maïs transgénique en 1998, le rapport rappelle que des tests effectués en 2001 sur des champs de la région d’Oaxaca ont montré que 7,6 % des plants traditionnels de maïs présentaient des traces de gènes étrangers. Dans un pays où le maïs revêt aussi bien une dimension historique et culturelle qu’alimentaire, de tels résultats ont soulevé colère et inquiétude. En octobre 2002, à la demande de plusieurs communautés autochtones, la CCE a accepté de se pencher sur les effets de l’introduction du maïs transgénique sur la diversité génétique des espèces primitives de cette culture et les espèces sauvages apparentées. « Le Mexique est le centre d’origine de la plupart des variétés de maïs que l’on trouve dans le monde, justifiait alors le président du groupe consultatif, José Sarukhán, chercheur à l’université nationale autonome du Mexique. Avec les sept millions d’hectares qui sont consacrés à sa production, cette céréale est la pierre angulaire de l’agriculture au Mexique et l’aliment de base de millions de gens. » Le rapport conclut que les semences génétiquement modifiées ont contaminé les espèces traditionnelles, modernes ainsi que le teocintle, une espèce sauvage considérée comme l’espèce mère du maïs. La source de la contamination ne fait pas de doute : l’importation de grain américain, transgénique à 30 %, vendu notamment par des agences gouvernementales. Devant les nombreuses questions que la science laisse sans réponse, la CCE insiste sur la nécessité de réaliser des études supplémentaires sur les risques de ce flux génétique, notamment quant à l’impact potentiel du transgénique sur les plantes, les insectes, les animaux et la santé humaine.

Moratoire. Sans ambiguïté, la CCE prône la nécessité d’une approche de précaution. La quinzaine d’experts sollicités par la commission conseille au Mexique de maintenir et même de renforcer le moratoire en vigueur sur la culture commerciale de maïs transgénique. Pour y parvenir, il lui faut minimiser l’importation de maïs en provenance de pays où ses variétés transgéniques sont commercialement cultivées. Surtout, le rapport précise que tout maïs transgénique en provenance du Canada et des Etats-Unis entrant sur le territoire mexicain doit être étiqueté comme tel, de façon à pouvoir être « directement et sans exception » envoyé dans des moulins pour être broyé.

Le texte en espagnol du rapport diffusée par Greenpeace n’est pas la dernière version des recommandations du groupe consultatif (elle date du 31 août), mais « elle est fidèle à l’esprit du rapport final », reconnaît-on au siège de la CCE à Montréal. Aucun commentaire toutefois tant que le rapport officiel n’est pas public ­ dans les soixante jours suivant sa présentation au conseil, soit mi-novembre, à moins qu’une des capitales en décide autrement. « Il n’y a aucune raison de penser que ce rapport ne sera pas publié. Les précédents l’ont été », insiste la responsable du programme « environnement, économie et commerce » de la CCE.

Echec. Pour Washington en tout cas, la diffusion d’un tel rapport émis par un organisme international de régulation du commerce tombe mal. Avec l’appui du Canada et de l’Argentine, les Etats-Unis ont en effet porté plainte devant l’OMC contre le refus de l’UE de supprimer tout système d’étiquetage des OGM, mesure jugée contraire au libre marché. Eric Darier, un responsable de Greenpeace au Canada, accuse les Etats-Unis d’avoir retardé la sortie du rapport, prêt sur le fond depuis mi-mai : « Ce rapport de l’Alena démontre clairement l’échec des politiques canadienne et américaine de protection de l’environnement face à la dissémination des OGM dans la nature. »

Par Carole DUFFRECHOU

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