Survie

Le protocole de Kyoto se jette a l’eau

Publié le 16 février 2005 - Survie

Libération, France, 16 février 2005.

Le traité sur le climat, signé en 1997 et ratifié depuis par 141 pays, entre en vigueur aujourd’hui. Jour historique ou journée de dupes ?

Géopolitique du climat, jour J. Aujourd’hui, l’ONU officialise l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, signé dans la ville japonaise en 1997. Ratifié par 141 pays, ce traité résulte directement de la convention sur le climat signée au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992. Texte fondateur, où les Nations unies s’affirmaient, dans un élan dont on pouvait craindre qu’il demeure pure rhétorique, « résolues à préserver le système climatique pour les générations présentes et futures ». Quatorze années plus tard, la pétition de principe se mue en un épais traité, nanti de chiffres, de mécanismes de vérification et de punition, à l’instar d’un accord de réduction d’armes nucléaires. Mais le volet coercitif ne concerne que les 30 pays industrialisés qui se sont engagés à réduire leurs émissions de 5,2 % en 2012 relativement à celles de 1990. Et l’avenir de la diplomatie du climat oscille entre un Jacques Chirac proclamant hier l’objectif d’une « division par quatre des émissions des pays développés » et un George W. Bush déterminé à rejeter toute obligation internationale pour les Etats-Unis. Journée historique, ou de dupes ?

Combustibles fossiles. La version optimiste trace une ligne droite entre l’alerte scientifique (née à la fin des années 80) et la décision politico-diplomatique. Les climatologues ont instruit le dossier : Homo industrialis a déjà bousculé l’équilibre millénaire de l’atmosphère, hissant les gaz à effet de serre (gaz carbonique et méthane pour l’essentiel) à des niveaux sans précédent depuis un million d’années. Continuer ainsi provoquerait en un siècle un changement climatique du même ordre de grandeur que celui séparant le dernier maximum glaciaire (il y a 20 000 ans, lorsque la calotte polaire descendait jusqu’à Londres) et le climat actuel. Une mutation rapide, déjà sensible, mais menaçant surtout la deuxième moitié du XXIe siècle. Pour réduire des dégâts en partie inéluctables, il faudrait, affirment les scientifiques, ralentir puis inverser la courbe des émissions avant 2050. Les 26,3 milliards de tonnes de CO2 (industrie et transport) émis en 2003 proviennent non d’activités marginales mais d’un mode de vie fondé sur l’usage massif des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel). Sa perpétuation dans les pays riches, ajoutée au développement du reste de la planète (les trois quarts de l’humanité) entraîneront une croissance rapide des émissions.

L’enjeu réel de la période Kyoto, qui court jusqu’en 2012, ne réside en fait pas dans le respect à la lettre, à la décimale près, des engagements pris, mais dans celui de son esprit. C’est une première étape d’un processus à l’échelle du siècle. En 2012, le succès se mesurera d’abord au retour des Etats-Unis sur le front de la lutte contre le changement climatique ­(...). Mais aussi à l’adhésion des pays émergents, Chine et Inde surtout, à un protocole contraignant dont les premiers signataires auraient démontré le réalisme. Comme le souligne l’économiste indien Anil Argawal, c’est « l’équité » de l’effort qui fera son acceptation. Et celle-ci passe par la reconnaissance de la responsabilité historique des pays industrialisés et surtout par l’objectif à long terme d’une convergence des émissions par habitant à l’échelle de la planète.
(...)

Les dirigeants des nouveaux pays industriels, eux, ne rêvent que de croissance à deux chiffres. La plupart de leurs décisions structurantes (urbanisme, réseaux de transports, investissements énergétiques) promettent un recours accru aux combustibles fossiles. Quant aux plus pauvres, la disette énergétique dont ils souffrent participe de leurs maux. La perspective d’un protocole de Kyoto à peu près respecté, mais sans suites, est donc plus à craindre que l’éventuel dérapage de tel ou tel pays signataire.

Par Sylvestre HUET

© Libération


Climat Tour d’horizon des engagements, objectifs et coûts du protocole de Kyoto :

L’effet de serre dans le collimateur

Les scientifiques s’accordent sur le rôle des activités humaines qui sont, en grande partie, responsables du réchauffement climatique constaté. Sur cette base, et compte tenu de prévisions alarmantes, les pays regroupés dans la convention Climat de l’ONU se sont engagés, à Kyoto (Japon) en 1997, à agir contre le réchauffement.

Qu’est-ce que l’effet de serre ?

Sans son enveloppe, la Terre serait trop froide pour être vivable. Son atmosphère piège de l’énergie solaire, comme une serre, et porte la surface du globe à 15 °C en moyenne. Mais cet équilibre est rompu par l’augmentation de la concentration des gaz qui produisent cet effet de serre, notamment le gaz carbonique (CO2), émis par la combustion de charbon, du pétrole et du gaz naturel. Un effet de serre plus marqué, c’est plus de chaleur absorbée par la Terre, donc une température accrue. Depuis un siècle, la hausse est de 0,6 °C, en moyenne, avec de fortes disparités régionales.

Qui est concerné par le protocole de Kyoto sur les gaz à effet de serre ?

Ce protocole a été ratifié par 141 Etats, dont trente, industrialisés, qui s’engagent à stabiliser ou réduire leurs émissions de gaz à effet de serre entre 1990, année de référence, et 2012. L’objectif était une baisse globale d’environ 5 %, avec un objectif assigné à chaque pays en fonction de sa situation. Ainsi, la France, qui produit beaucoup d’électricité sans CO2 (nucléaire, barrages) doit seulement stabiliser ses émissions. En revanche, l’Allemagne, qui tire une grande part de son électricité des combustibles fossiles, doit les réduire de 21 % en 2012 par rapport à 1990. Les Etats-Unis, qui pèsent 46 % des émissions des pays riches, et l’Australie n’ont pas ratifié Kyoto. Ils ne sont donc tenus par aucun engagement.

Que prévoit le protocole ?

Chaque pays figurant à l’annexe I du texte, prend un engagement d’objectif, mais choisit sa propre politique. Pour atténuer le coût de la mise en oeuvre du protocole, un mécanisme de droits d’émission de gaz à effet de serre et de Bourse sont mis en place. Les entreprises peuvent investir pour réduire leurs rejets, acheter ou vendre des droits à polluer sur le marché ou investir dans les pays de l’annexe II (pays en développement, qui n’ont pas pris d’engagement). Enfin, un fonds d’adaptation permettra d’aider les pays pauvres à s’adapter au réchauffement.

Kyoto mettra-t-il fin au réchauffement climatique ?

Son impact sera négligeable sur un strict plan scientifique. Avec la participation des Etats-Unis, le coup de chaud aurait été atténué de 0,06 °C, pour une hausse évaluée, sur un siècle, entre 1,4 °C et 5,8 °C par les 2 000 scientifiques réunis par l’ONU au sein du Groupe international d’études sur le climat. Sans les Etats-Unis, et compte tenu de la difficulté qu’auront les signataires à tenir leurs engagements, l’effet du protocole sera bien moindre. Pour stabiliser la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, donc freiner le réchauffement, il faudrait diviser par deux les rejets liés aux activités humaines. Car les gaz à effet de serre agissent longtemps : le CO2 produit des effets durant un siècle.(...)

Combien va « coûter » le protocole ?

Selon ses détracteurs, Etats-Unis en tête, le coût de l’application de ce traité serait pharaonique. Les experts s’écharpent sur son impact en terme de croissance. Mais à vrai dire, personne ne peut donner de chiffres sérieux ; les évaluations font le grand écart. Pour les seuls Etats-Unis, des études prévoient une perte de cinq millions d’emplois, d’autres la création de plusieurs centaines de milliers de jobs. En Europe, de nombreux pays qui misent sur l’électricité verte, comme l’Allemagne, le Danemark ou l’Espagne, créent des emplois dans ces filières, sans qu’on sache s’ils en perdent ailleurs. La seule chose certaine, c’est que le prix de l’énergie devra augmenter. L’administration Clinton, favorable au protocole, avait avancé, en 1998, une fourchette de 3 % à 5 % de hausse, sur une dizaine d’années. Mais pour beaucoup d’industries lourdes, réduire les rejets c’est réduire la facture énergétique, donc les coûts. Même chose pour les particuliers « sobres » : le kilowattheure le moins cher, c’est celui qu’on ne consomme pas !

Par Denis DELBECQ

© Libération


Climat Eileen Claussen préside un centre d’études sur le climat à Arlington (Etats-Unis) :

« Les Américains pensent que quelqu’un d’autre s’occupera du problème »

Eileen Claussen est présidente du Pew Center on Global Climate Change, centre d’étude basé à Arlington (Virginie), dans la banlieue de Washington.

Sans les Etats-Unis, cela a-t-il un sens d’instaurer un contrôle international de la pollution ?

Pour réussir, tous les grands émetteurs de gaz carbonique doivent être partie prenante aux efforts, à commencer par les Etats-Unis. Mais en attendant, les Européens explorent la question, poussent la réflexion sur de nouvelles technologies et seront, au bout du compte, mieux placés pour faire face à un monde dans lesquels les contraintes liées aux émissions de gaz à effet de serre seront plus grandes. Le protocole de Kyoto est utile pour des raisons psychologiques et politiques. Quand 141 pays se rejoignent pour défendre une cause, c’est l’expression d’une sérieuse volonté politique. Le protocole force la communauté internationale à préparer l’après 2012, date à laquelle les choses sérieuses doivent commencer. Grâce à Kyoto, personne ne peut échapper à la réflexion, personne ne peut faire le mort. (...)

Certains Etats, à l’intérieur des Etats-Unis, tentent de réduire les émissions de C02. Ont-ils un impact ?

Oui, dans la mesure où ils finiront par pousser le pays à prendre des mesures au niveau national. Les Etats ont pris de très nombreuses initiatives. Dix-neuf d’entre eux (sur 50, ndlr) exigent déjà que leurs producteurs d’électricité utilisent, en partie, des énergies renouvelables. La Californie tente de réglementer les émissions de gaz à effet de serre des automobiles. Si c’est un succès, d’autres les imiteront. Neuf Etats, à l’est, s’apprêtent à lancer un programme « cap and trade » (limitation des émissions assorties d’un marché des droits excédentaires d’émissions, sur le modèle de Kyoto). Toutes ces initiatives vont se développer. Et nous finirons par déboucher sur une législation fédérale, afin de les harmoniser.

Croyez-vous à l’efficacité des pressions de la communauté internationale ?

Pour être honnête, non. Il est beaucoup plus probable que l’attention de Washington soit attirée par ce qui se passe dans les Etats de l’Union. (...)

Par Pascal RICHE

© Libération

a lire aussi