Survie

« Nous avons de nombreux défis à relever »

Publié le 9 octobre 2003 - Survie

Libération, France, 9 octobre 2003.

Président depuis mars 2003 de la Cour pénale internationale, le Canadien Philippe Kirsch, 56 ans, spécialiste reconnu de droit international et diplomate, avait joué un rôle clé dans la création de ce nouveau tribunal international permanent chargé de juger les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

Maintenant que la CPI existe, quels défis devez-vous relever ?

Tout d’abord, je constate que tout le monde nous prédisait qu’il faudrait dix à quinze ans avant que soixante Etats ratifient les statuts, déclenchant ainsi la compétence de la cour. Il n’a fallu que quatre ans. C’est une excellente nouvelle. Maintenant, nous avons de nombreux défis à relever. D’abord, faire la démonstration de la crédibilité de notre justice. Certaines puissances (les Etats-Unis, en particulier, ndlr) craignent que la CPI se comporte comme un organe politique. Les juges feront la preuve que cela n’est pas le cas. Je n’ai aucun doute là-dessus : ils refuseront toute politisation de la cour. Le deuxième défi consistera à rendre une justice efficace, sans brider les droits de la défense. Nous avons tiré les leçons des deux tribunaux internationaux des Nations unies (sur l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ndlr), et nous ne voulons pas mener de procès interminable sans pour autant attenter à la qualité de la justice qui sera rendue. Idéalement, même si c’est très difficile dans l’abstrait à quantifier, je souhaiterais qu’un procès dure moins d’une année.

Que répondez-vous lorsqu’on vous fait le reproche que ce ne sont que les Etats faibles, et en particulier les Etats africains, qui doivent redouter les poursuites de la CPI ?

La justice à plusieurs vitesses a toujours existé. Je dirai que l’ambition de la CPI, c’est justement d’éliminer ces différences. S’agissant des Etats de l’Afrique subsaharienne, ils ont appuyé de tous leurs voeux une cour forte et indépendante, y compris pour bénéficier de la protection de celle-ci en cas de problèmes internes. En fait, la création même de la cour est le produit de la volonté des Etats vulnérables et des puissances moyennes. Maintenant, s’agissant des situations en Afrique, la CPI, en tant que pur organe judiciaire, ne fait que son travail : celui de traiter les affaires qui se présentent à elle. Il est cependant exact que le succès à long terme de la cour dépendra de sa capacité à devenir véritablement universelle. Mais cela ne dépend pas d’elle, puisque par définition la cour n’a aucun contrôle sur les ratifications des statuts de la CPI, qui sont purement du ressort de la compétence des Etats.

La CPI n’est compétente que si les justices nationales ont fait défaut, d’où le risque de voir déférés uniquement les ressortissants d’Etats faibles ?

Les affaires que devra traiter la CPI proviendront de deux types de situation. Soit l’Etat n’a simplement pas les moyens de rendre justice, parce qu’il y a eu, par exemple, un effondrement des structures juridiques dans ce pays, soit un Etat, y compris puissant, n’a pas rendu une justice satisfaisante au regard des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des actes de génocide commis. Vous me demandez comment nous déterminerons si la justice a été rendue de manière satisfaisante ? Dans certains cas, ce sera, en effet, un défi pour la cour de le déterminer.

Les Etats-Unis mènent une campagne planétaire contre la cour que vous présidez. Comment réagissez-vous ?

Tout ce que je peux dire, c’est que cette cour a été créée de manière permanente. Les environnements politiques, eux, évoluent. Quant aux accords bilatéraux promus par les Etats-Unis et visant à exempter leurs ressortissants de tout risque de poursuite, je ne puis les commenter, car, en tant que juge, je pourrai être amené à me prononcer sur leur légalité. (En théorie, la CPI pourrait juger la légalité de ces accords bilatéraux dans le cas où un pays se retrancherait derrière cet argument pour refuser de livrer un accusé, ndlr.)

Vous venez d’obtenir à la deuxième assemblée des Etats parties à la CPI 53 millions d’euros de budget pour l’année 2004. Quand allez-vous avoir quelqu’un dans le box des accusés ?

Le scénario de la cour est le suivant : nous pensons avoir, en 2004, un procès en cours qui se subdivisera au maximum en trois affaires, avec en tout pas plus d’une dizaine d’accusés et un autre procès en phase préparatoire. C’est un énorme travail, mais nous serons prêts à temps. Pensez que le premier engagement à la CPI remonte à moins d’une année. Aujourd’hui, 133 personnes y travaillent et leur nombre augmentera jusqu’à 375 d’ici à fin 2004. Quant aux juges, ils sont en train d’écrire le règlement de la cour. Notre salle d’audience sera achevée en juillet 2004. Si, d’ici là, nous voulions faire comparaître des accusés, les Pays-Bas mettront une salle d’audience à notre disposition.

Par Pierre HAZAN

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