Survie

Restrictions sur l’accès aux génériques

Entretien avec Gaëlle Krikorian, vice-présidente d’Act Up Paris, présente au débat hier à Ivry.

Publié le 13 novembre 2003 - Survie

L’Humanité, France, 14 novembre 2003.

Cette question était au centre d’un séminaire tenu hier à Ivry. L’opinion de Gaëlle Krikorian, vice-présidente d’Act Up Paris.

Comment s’articule aujourd’hui la lutte pour l’accès aux médicaments dans les pays pauvres ?

Gaëlle Krikorian. Il faut d’abord gérer les suites de l’accord international du 30 août dernier validé par l’OMC. Ce document, résultat de deux ans de négociations dans le sillage de la conférence de Doha en 2001, instaure une série de contraintes administratives concernant l’importation de médicaments génériques par les pays qui ne peuvent les produire localement. C’est un net recul par rapport à la déclaration de Doha, qui ouvrait des perspectives en donnant la priorité à la santé par rapport aux brevets : elle laissait espérer que les pays les plus mal lotis pourraient facilement importer d’Inde, du Brésil ou de Thaïlande les médicaments qui y sont fabriqués à des prix plus abordables. Nous, nous pressons les pays de tester ces nouvelles dispositions pour montrer qu’elles ne fonctionnent pas. Mais d’un autre côté, les pays confrontés à ces accords compliqués peuvent aussi exploiter les failles des aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) qui réglementent le système des brevets. Ils laissent en effet jusqu’à 2016 aux pays les plus défavorisés, pour faire entrer dans leur droit national la protection de 20 ans qu’imposent les brevets sur toute innovation. En plus, ils prévoient la possibilité de passer outre un brevet pour des raisons d’intérêt général. Nous incitons les pays en difficulté à tenter ces possibilités avant de se faire piéger.

Vous mettez aussi en avant d’autres dangers, en dehors de l’OMC.

Gaëlle Krikorian. Aujourd’hui se négocient en effet des accords bilatéraux entre pays du Nord et pays du Sud. Ce sont des discussions générales, sur tous les aspects du commerce, mais elles incluent les médicaments. Et en général, les dispositions sur les médicaments sont encore plus restrictives que celles de l’OMC. Les pays riches exigent l’extension de la durée de brevet à 30 ans, alors qu’elle est de 20 ans au niveau de l’OMC. Autre stratégie très pernicieuse : les laboratoires des pays riches réclament que les résultats des essais cliniques liés aux médicaments deviennent des données exclusives. Cela voudrait dire qu’un laboratoire de génériques qui, au moment où le brevet sur un médicament tombe, dépose son dossier auprès de son agence du médicament pour produire le générique, devrait non seulement prouver l’équivalence de son produit avec le médicament copié, comme c’est le cas aujourd’hui, mais également refaire les essais cliniques, qui coûtent très cher et prennent beaucoup de temps. En clair, il n’aurait pas le bénéfice des essais déjà réalisés au moment de la commercialisation du médicament de marque. Cela ruinerait tout l’intérêt que représente la production de génériques, puisque cela ferait grimper leurs prix pour les malades. En ce moment, ce type de dispositions est au cour d’une négociation entre le Maroc et les États-Unis. Les Américains réclament aux Marocains des brevets de 30 ans, et 5 ans d’exclusivité des données après la tombée du brevet. Cela signifie la mort de toute industrie pharmaceutique au Maroc. Et toute la difficulté pour nous est d’avoir accès aux textes des négociations.

Entretien réalisé par Anne-Sophie Stamane

© Journal l’Humanité

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