Survie

Sang contaminé : la Chine reconnaît l’ampleur du drame

Selon Pékin, le sida infecterait 23 des 30 provinces du pays.

Publié le 28 décembre 2002 - Lounis Aggoun

Libération, France, 28 décembre 2002.

L’étendue de la catastrophe du sang contaminé en Chine commence à être officiellement reconnue à Pékin. Le ministre chinois de la Santé, Zhang Wenkang, a révélé que 23 des 30 provinces chinoises avaient été victimes de la propagation du virus VIH par le biais d’un commerce du sang effectué auprès des paysans les plus pauvres, au mépris des règles d’hygiène les plus élémentaires. Selon le ministre, cité vendredi par l’agence officielle Chine nouvelle, l’épidémie menace désormais la « stabilité sociale » dans les provinces les plus touchées : le Henan, l’Anhui, le Hubei et le Hebei.

Nombre inconnu. Le ministre chinois n’est pas allé jusqu’à donner le nombre de personnes contaminées, qui se compteraient en centaines de milliers, plus d’un million selon certaines estimations. Mais sa déclaration va plus loin que tout ce qui avait été officiellement admis jusqu’ici et donne une idée de l’étendue de la tragédie qui, dans certains villages du Henan, la province la plus touchée au centre du pays, affecte la grande majorité des paysans. Les informations qui circulaient sur l’Internet chinois citaient généralement cinq ou six autres provinces, pas 23, comme vient de le faire le ministre.

Au début des années 90, ces paysans pauvres avaient été incités à vendre leur sang contre de l’argent à des stations de collecte itinérantes. Leur sang était ensuite mélangé à celui des autres donateurs, puis leur était réinjecté après prélèvement du plasma. Cette méthode, ainsi que l’utilisation fréquente des mêmes aiguilles pour plusieurs personnes, a permis au virus VIH, mais aussi à celui de l’hépatite, de se diffuser à grande vitesse. Certains paysans ont vendu leur sang des centaines de fois avant que le système ne soit déclaré illégal, au milieu des années 90. Ce n’est que l’an dernier que le gouvernement a, pour la première fois, reconnu l’existence de ces contaminations, d’abord révélées par la presse chinoise ­ vite muselée ­ et internationale (Libération des 22 juin 2001 et 14 janvier 2002).

Le ministre de la Santé a également annoncé que le gouvernement consacrerait 22 millions de yuans, soit à peine 2,7 millions d’euros, à un fonds spécial destiné à aider les malades du sida au cours des deux prochaines années. Une somme dérisoire par rapport au nombre de malades concernés, qui fait douter de la détermination des autorités à venir en aide à ces paysans sans voix. Le gouvernement a empêché jusqu’ici toute action humanitaire indépendante et déployé des moyens répressifs considérables pour bloquer l’accès de la presse à ces malades.

Si le ministre a annoncé la prochaine mise sur le marché des premières trithérapies antisida fabriquées en Chine, à un prix bien inférieur aux produits importés, on sait déjà qu’elles ne seront accessibles qu’à 1,5 % des malades officiellement recensés, soit 20 000 personnes environ. C’est certes un progrès puis que, aujourd’hui, seuls 500 patients ont les moyens de se payer les traitements importés, mais on est loin de la mobilisation générale à laquelle appellent les Nations unies.

Obstacle politique. Selon les estimations de l’ONU, le nombre de Chinois porteurs du virus VIH pourrait décupler et passer à dix millions avant la fin de la décennie si la Chine n’y consacre pas les ressources nécessaires.

Si le voile est donc progressivement levé sur l’une des plus grandes catastrophes sanitaires qu’ait connues la Chine populaire, l’un des obstacles est assurément politique. Personne n’a été poursuivi pour cette contamination à grande échelle, et certains des responsables concernés occupent toujours de hautes fonctions. Résoudre la crise sanitaire sans en payer le prix politique, c’est tout l’enjeu de cette gestion au compte-gouttes de l’information.

Par Pierre HASKI

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