Survie

Sida : un labo sous pression

GlaxoSmithKline est sommé par un fonds de pension de baisser le prix des thérapies en Afrique.

Publié le 5 mai 2003 - Guillaume Olivier

Libération, France, 5 mai 2003.

Après les associations, l’opinion publique et les politiques, c’est désormais le plus important fonds de pension américain qui se montre préoccupé par le sort de l’Afrique face au sida et exige du laboratoire britannique GlaxoSmithKline (GSK) d’étudier « les moyens pour fournir au prix le plus bas possible ses thérapies ». Calpers, qui gère la retraite de 1,3 million de fonctionnaires californiens, a expédié le 15 avril une lettre à Jean-Pierre Garnier, le patron du numéro 2 mondial de l’industrie pharmaceutique, lui donnant « trois mois » pour fournir aux actionnaires un rapport « évaluant les possibilités d’améliorer les programmes d’aide humanitaire ». Avec pour consigne de faire valider ce rapport par une « tierce partie indépendante et familière du prix des médicaments dans les pays en développement, comme Médecins sans frontières ».

Calpers est actionnaire minoritaire de GSK (autour de 1 % du capital), mais la requête est prise très au sérieux par la firme, qui indique « vouloir répondre, et sans doute avant trois mois », selon Nancy Pekarek, porte-parole du groupe. Quelques jours après l’envoi de cette lettre, le 28 avril, GSK a ainsi diminué le prix de certains traitements à destination de l’Afrique de 35 % à 50 %. Récoltant un satisfecit du président du conseil d’administration de Calpers, Sean Harrigan, qui a parlé « de pas en avant significatif » et incité GSK à « poursuivre ses efforts ».

« Prix coûtant ». A l’origine de cette missive, la Fondation Aids HealthCare, située en Californie et spécialisée dans le traitement du sida aux Etats-Unis. Comme de nombreuses autres associations dans le monde, elle milite pour une baisse des prix des traitements des personnes atteintes par le virus dans les pays pauvres, notamment dans une Afrique ravagée par l’épidémie. Comme d’autres, elle fait pression sur les laboratoires pharmaceutiques titulaires des brevets sur ces médicaments, comme l’AZT ou d’autres antirétroviraux. Cette campagne a déjà amené des réductions importantes de prix, Glaxo allant jusqu’à proclamer que ses molécules sont vendues « à prix coûtant » en Afrique. Un geste encore insuffisant pour Aids HealthCare : « Aux Etats-Unis, un an de traitement d’AZT coûte 4 800 dollars, et, en Afrique, Glaxo le fournit aujourd’hui pour 438 dollars, signale Ged Kenslea, le porte-parole de la fondation. Mais la même molécule fabriquée par un génériqueur (fabricant de copies de médicaments, ndlr) revient à 180 dollars. »

Depuis quelques années, Aids HealthCare tente de faire pression sur GSK, notamment en exigeant le détail des coûts de production du laboratoire « afin de vérifier s’ils ne font vraiment aucun profit sur les médicaments pour l’Afrique », selon Ged Kenslea. En l’absence de réponse, la fondation s’est tournée vers Calpers, fonds de pension connu pour des prises de positions « extrafinancières », indique Frédéric Lorenzini, rédacteur en chef du site d’informations pour les investisseurs MorningStar France. L’année dernière, le fonds avait secoué la finance mondiale en retirant ses investissements de certains pays d’Asie du Sud-Est, dont la Thaïlande et les Philippines, pour cause d’instabilité politique ou d’efforts insuffisants sur le droit du travail. Et, le 20 février dernier, il a demandé à l’opérateur de télécoms Tyco de rapatrier son siège social du paradis fiscal des Bermudes aux Etats-Unis.

Dans l’affaire GSK, Calpers indique avoir « oeuvré comme un pont pour faciliter le dialogue entre l’entreprise et la fondation », selon son porte-parole Brad Pacheco. Bien entendu, le fonds a adapté les demandes de Aids Healthcare pour leur donner une forme compatible avec les exigences des rendements financiers. « En temps qu’investisseur, nous sommes inquiets des pressions sur l’industrie visant à fournir à perte des médicaments sur une grande échelle », indique Calpers dans sa lettre, tout en reconnaissant que le laboratoire « a déjà mis en place des programmes humanitaires ». Mais le fonds de pension se montre inquiet quant aux dommages que pourrait causer une position trop molle de GSK dans la lutte contre le sida, estimant que « l’industrie pharmaceutique fait face à des risques très spécifiques quant à sa réputation » et que « c’est particulièrement le cas concernant l’épidémie du sida ». Un risque d’image partagée par toute l’industrie depuis le procès de Pretoria, en 2001, où 39 laboratoires du monde entier ont voulu interdire aux malades africains du sida l’accès aux trithérapies, au nom de la défense de leurs brevets. Avant de lâcher prise devant la réaction outrée de l’opinion publique.

Image critique. Afin de sortir de cette impasse, Calpers incite donc GSK à autoriser certaines sociétés à fabriquer des copies de ses propres médicaments, démarche dans laquelle l’entreprise s’est engagée jusqu’ici très modestement, avec un seul accord signé en Afrique du Sud. Avantage : GSK n’a pas à supporter les coûts de production, et des industriels spécialistes de ces copies peuvent les fabriquer à un coût inférieur. « Nous allons étudier cette possibilité », dit Nancy Pekarek, de GSK. Sans trop d’espoir de donner à l’entreprise l’image d’un bienfaiteur de l’humanité : lors d’une réunion la semaine dernière au siège de Calpers, un cadre du groupe pharmaceutique soulignait que « la nature extrêmement grave du sida et l’amplitude de la crise rend GSK vulnérable à la critique quoi que l’on fasse ». Quant à l’association Aids Healthcare, elle se réjouit de son succès et « envisage d’approcher d’autres fonds de pension aux Etats-Unis ».

Par Florent LATRIVE

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