Survie

Un accès inégalitaire aux télécommunications

Publié le 14 novembre 2003 - Survie

L’Humanité, France, 14 novembre 2003.

(...) Pour François-Xavier Verschave, il faudrait inclure les télécommunications (dans le concept de biens publics mondiaux).

(...) Si l’on comprend aisément en quoi l’eau, par exemple, est un bien public mondial, c’est pourtant moins évident pour (les télécommunications).

François-Xavier Verschave. C’est avec la référence constante au système des droits humains universels qu’il nous faut considérer en quoi et jusqu’où l’accès à l’information et à la communication, ainsi que les moyens principaux de cet accès et de leur transport, les télécommunications doivent être considérées comme un bien public mondial. Pour choisir, agir, produire, échanger, exercer ses sentiments et ses talents, l’être humain a besoin d’information, de connaissance, d’espaces de débat élargis. Cela vaut pour sa sphère privée, sa vie professionnelle, son engagement de citoyen. Or, si l’on aspire souvent à une société de l’information, celle-là n’est qu’un sous-ensemble de la communication.

L’information fait référence à une transmission unidirectionnelle, tandis que la communication suppose un échange, un dialogue. Elle est donc la seule à pouvoir donner naissance à un lien social. Si, par exemple, seulement 30 % des habitants de la planète peuvent communiquer constamment avec des membres de leur famille ou des amis éloignés et accéder par Internet à toutes les bibliothèques du monde, c’est une rupture de l’" égalité en dignité " (article premier de la Déclaration universelle des droits de l’Homme) que de priver de ces biens relationnels et cognitifs les 70 % restants. Enfin, les télécommunications sont un instrument puissant et fédérateur au service des autres biens publics que sont la connaissance, l’éducation ou la santé, en même temps qu’ils peuvent être un outil pour les causes humanitaires comme la prévention de catastrophes et endémies ou le développement des territoires.

Mais en quoi, le caractère privé de la production et du développement des télécommunications est-il contraire à " l’égalité en dignité " que vous citez ?

François-Xavier Verschave. Les télécommunications sont l’une des cibles principales des sprinters de la mondialisation qui, sous couvert de dérégulation, ont installé ou concoctent différentes formes de rackets pour leurs monopoles ou oligopoles. La gestion des géants du secteur est en partie branchée sur la finance offshore - ce qui autorise une délinquance multiforme, dont la grande corruption -, à l’opposé d’une gouvernance publique responsable. Résultat : l’accès aux biens publics de télécommunications reste scandaleusement inégalitaire (de moins de 5 téléphones pour 1 000 habitants dans de nombreux pays pauvres à plus de 500 dans les pays riches). Il y a donc une nécessité impérieuse de construire la possibilité d’un accès moins inique à ces biens. Or, les États occidentaux se comportent comme les défenseurs des intérêts de " leurs " multinationales. De plus en plus, les nouvelles normes et options convenues dans les enceintes internationales visent à accroître les profits de ces mastodontes ou à faire payer aux consommateurs leurs erreurs stratégiques. Les plus faibles sont, du coup, les plus maltraités, dans une perspective malthusienne sans issue. Comme pour les médicaments, les habitants des pays pauvres payent souvent bien davantage les prestations fournies que ceux des pays riches. Autrement dit, il y a d’autant plus de nécessité et d’urgence à élaborer en la matière l’enveloppe (limites, contenus) du bien public à l’échelle mondiale, que les prédateurs y opèrent déjà sans aucun contre-pouvoir et avec de moins en moins de garde-fous.

Entretien réalisé par Jérôme-Alexandre Nielsberg

© Journal l’Humanité

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